Créée en 2014 et maintes fois reprise depuis, la production des Noces de Figaro signée Richard Eyre a été retransmise pour la première fois dans les cinémas ce samedi 26 avril. Le metteur en scène britannique a choisi de transposer l’action dans les années 30, comme en témoignent les élégants costumes de Robs Howell qui a également signé les décors, ou plutôt le décor unique qui représente la demeure du Comte Almaviva, en l’occurrence une sorte de palais andalou constitué de tours métalliques ajourées de couleur sombre, déposées sur une tournette de manière à faciliter les changements de tableau à vue. Ces tours, ornées de boiseries d’inspiration mauresque, délimitent les principaux lieux de l’intrigue, la chambre à coucher de la Comtesse, une salle de banquet occupée par une grande table dressée, une tonnelle. Au centre se dresse un arbre immense, presque aussi haut que le décor. La direction d’acteur, d’une grande inventivité, privilégie l’aspect comique de l’intrigue en soulignant les situations cocasses et en multipliant les gags notamment durant tout le final de l’acte deux, réglé au cordeau avec une virtuosité ébouriffante.

L’équipe, réunie pour la circonstance, est constitués de chanteurs / acteurs aguerris qui ont dans l’ensemble le physique de leur personnage, qu’ils incarnent avec conviction jusque dans les plus petits rôles. Tony Stevenson est parfait en juge ahuri dépassé par les événements et Paul Corona campe avec sa voix de stentor un jardinier bourru et têtu. Brenton Ryan se sert de son timbre suave pour faire de Basile un individu obséquieux qui distille ses insinuations avec volupté. Mei Gui Zhang prête à Barberine sa voix sonore et ses mimiques de fausse ingénue. Son « L’ho perduta » lumineux capte l’attention. Quant au vétéran Maurizio Muraro, grand spécialiste du rôle de Bartolo aussi bien chez Rossini que chez Mozart, il est tout simplement parfait en vieux docteur grincheux et revanchard dont la sensibilité se révèle lorsqu’il découvre sa paternité. Face à lui, Elisabeth Bishop est une Marcellina truculente à souhait, dotée d’une vis comica irrésistible. Les personnages principaux sont également très bien servis, à commencer par Cherubino qui trouve en Sun-Ly Pierce une interprète qui porte admirablement le pantalon et se montre capable d’exécuter avec aisance de redoutables acrobaties, comme par exemple à l’acte deux, lorsqu’elle grimpe sur un meuble élevé pour atteindre une fenêtre située en hauteur afin de sauter dehors. Dotée d’une voix brillante et corsée, la mezzo-soprano américaine livre un « Non so più » vif et léger et un « Voi che sapete » raffiné, tout en nuances, qui renouvelle l’intérêt pour cette page rebattue. Joshua Hopkins possède un timbre séduisant et clair, sa ligne de chant élégante sied à son personnage d’aristocrate dont toutes les tentatives pour séduire sa servante tombent lamentablement à l’eau sans qu’il ne soit pour autant ridicule. Son « Vedro’ mentr’io sospiro », ornementé à la reprise, est magistral de bout en bout. Michael Sumuel campe un Figaro atypique, moins intrigant et rebelle qu’à l’accoutumée, un homme amoureux qui laisse transparaître une certaine fragilité lorsqu’il croit que Susanna le trompe. Le baryton américain possède un medium corsé et un aigu solide, seul le registre grave s’avère confidentiel. Si les vocalises de « Se vuoi ballare » manquent de précision, le chanteur se rattrape avec un « Non più andrai » éclatant et un « Aprite un po’ quegli occhi » irréprochable dans lequel le chagrin prend le pas sur la colère. Olga Kulcynska possède toutes les qualités que l’on attend d’une Susanna accomplie. Le timbre est clair, légèrement pointu dans l’aigu, ce qui exalte le côté piquant de la servante, le phrasé est tout à fait remarquable. Très à son aise sur le plateau, la soprano ukrainienne ne manque ni de charisme ni d’humour. Elle confère à son héroïne une certaine profondeur dans son air « Deh vieni non tardar » déclamé avec une grâce irrésistible. Son duo avec la comtesse « Sull’aria » est de toute beauté tant les voix des cantatrices se marient harmonieusement. Cependant, la grande triomphatrice de la soirée est sans conteste Federica Lombardi qui a proposé une comtesse d’anthologie. La soprano italienne qui promène sur le plateau sa silhouette élancée avec une grâce infinie, possède un timbre rond et un aigu brillant, Son « Porgi amor » d’une beauté douloureuse est chanté avec un raffinement vocal accompli et une longueur de souffle impressionnante. La noblesse de sa ligne de chant, l’intelligence de son interprétation font merveille dans un « Dove sono » parsemé d’infinies nuances et d’aigus « flottants ». Cette incarnation se hisse au niveau des plus grandes interprètes du rôle.
Au pupitre Joana Mallwitz, longuement acclamée au salut final, effectue des débuts radieux sur la première scène new-yorkaise. Dès l’ouverture qui brille d’une infinité de détails la cheffe allemande imprime au somptueux orchestre du Met une direction énergique d’une vertigineuse précision avec des tempos globalement alertes qui alternent avec des moments de suspension miraculeux, notamment durant le « Porgi amor » qui ouvre le deuxième acte. La partition choisie comporte les coupures habituelles, en l’occurrence les airs de Marceline et de Basile au dernier acte.
Le samedi 17 mai, le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live, Salomé avec Elza van den Heever dans le rôle-titre.