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MOZART, Mitridate – Montpellier

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Spectacle
10 avril 2025
Passions et virtù

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Wolfgang Amadeus Mozart

Mitridate, rè di Ponto

Dramma per musica en trois actes, K.87
Sur un livret de Vittorio Amadeo Ciogna-Santi, d’après la traduction italienne par Giuseppe Parini, de la tragédie de Racine
Création à Milan, Teatro Regio Ducal, le 26 décembre 1770

 

Détails

Mise en scène
Emmanuelle Bastet

Scénographie et costumes
Tim Northam

Lumières
François Thouret

 

Mitridate
Levy Sekgapane

Aspasia
Marie Lys

Sifare
Key’mon Murrah

Farnace
Hongni Wu

Ismene
Lauranne Oliva

Marzio
Remy Burnens

Arbate
Nicolo Balducci

 

Orchestre national Montpellier Occitanie

Direction musicale
Philippe Jaroussky

 

Montpellier, Opéra Comédie, le 8 avril 2025, 19 h

 

La virtù dépasse sa traduction française de « vertu » : elle allie le courage à la grandeur d’âme, aux valeurs morales. C’est le conflit entre elle et les passions de nos héros qui gouverne l’action de cette tragédie. Mitridate est rare sur nos scènes, mais bénéficie actuellement d’une conjonction favorable : avant que Christophe Rousset retrouve l’ouvrage au TCE, en mai, Madrid, en février, puis Lausanne et Montpellier nous ont offert de remarquables productions.

Lorsque Mozart se voit commander Mitridate, les codes de l’opera seria régissent le genre depuis plus de cinquante ans, et le jeune adolescent de 14 ans se garde bien de les enfreindre. Il renoue même avec la volonté d’un retour aux origines de la tragédie grecque. Les grands personnages, héroïques, tragiques, sont au centre du drame. C’est ce qu’ont bien compris Emmanuelle Bastet, au style si personnel, et son équipe en servant l’ouvrage avec humilité. Charles Sigel a rendu compte de la création lausannoise et nous y renvoyons volontiers le lecteur. Pour simplifier, disons qu’à son habitude, la metteuse en scène nous a réservé un spectacle dépouillé, dont l’abstraction intemporelle et les lumières (de François Thouret) fascinent, concentrant l’attention sur les personnages. La scénographie nous entraîne dans un univers labyrinthique, en mutation constante, avec ses escaliers qui se conjuguent et se dérobent, ses voilages qui structurent les plans. C’est un constant régal, dû à Tim Northam, qui nous vaut également de superbes costumes, le cadre idéal pour que la direction d’acteur, fouillée, prenne tout son sens. Mitridate est à la guerre contre Rome et a confié son royaume à son fils aîné, Farnace. Trompé par la rumeur de la mort de son père, Farnace, convaincu que le trône lui appartient, déclare son amour possessif à Aspasia, la fiancée du roi. Celle-ci demande la protection de Sifare, le fils cadet.  Lui aussi, soupire pour elle, qui l’aime secrètement depuis longtemps. Mitridate revient en proposant à Farnace d’épouser Ismène et, lorsqu’il apprend la culpabilité de Farnace, il décide de le tuer… C’est une sorte de huis-clos auquel nous sommes invités, avec la guerre en arrière-plan (1).

© Marc Ginot

De la production lausannoise ne sont conservés que les titulaires d’emplois secondaires, tous remarquables. De surcroît, les prises de rôle se traduisent par un investissement, un engagement hors pair. Levy Sekgapane, ténor sud-africain, en pleine possession de ses moyens, campe un immense Mitridate, ce héros solaire et touchant. La stature comme la voix lui permettent de traduire l’extraordinaire richesse humaine du personnage. L’autorité, l’assurance, une indéniable science du legato, un souffle incroyable expriment avec justesse aussi bien les rages violentes, les ruses calculées que l’amour qu’il porte à chacun. Le souverain se fait homme, servi par une ligne vocale large, noble et chargée d’émotion, douloureuse, dans le « Se di lauri ». L’air de vengeance qui suit, « Respiro alfin », terrifiant, nous en montre l’autre face… Son ultime « Vado incontro Se al fato estremo » nous émeut par son humanité non feinte (2). Une très grande pointure pour un des rôles les plus exigeants.

Mozart a réservé l’éclat brillant, la virtuosité extrême, l’italianité, au couple central Aspasie et Sifare. La majorité des récitatifs accompagnés leur est réservée. Au centre du drame, l’unique duetto – « Se viver » – les réunit dans ce qui constiue, musicalement et dramatiquement, le sommet de l’ouvrage, ici fascinant de vérité et de beauté. On connaissait Marie Lys dans les répertoires baroque et belcantiste comme contemporain. On la découvre, après Zerlina, puis Servilia, merveilleusement épanouie, dans cette Aspasie dont elle s’empare ce soir. Dès son air d’entrée aux coloratures folles, « Al destin che la minaccia », elle impose magistralement une héroïne émouvante et forte. Non seulement elle se joue des formidables défis d’une virtuosité extrême, en donnant du sens à ses traits, mais sa sensibilité, sa richesse expressive traduiront à merveille les déchirements intérieurs de l’héroïne convoitée par Mithridate et chacun de ses fils. La voix est riche, longue, ductile, corsée dans tout le registre. La précision, la sûreté des vocalises forcent l’admiration. Toutes ses interventions appelleraient un commentaire, arias, récitatifs, secco ou accompagnés, « le » duetto. dont il a été question plus haut. Ses qualités de tragédienne sont patentes, et son jeu est captivant. L’attendu et poignant « Pallid’ombre », où Aspasie tente de mettre fin à ses jours, est chanté avec une simplicité, une retenue, une délicatesse qui nous émeuvent, soutenu par l’orchestre le plus discret. Humaine et pathétique. Sifare est confié à Key’mon Murrah, contre-ténor américain, dont on connaissait l’excellence dans le répertoire baroque. Sa découverte dans Mozart est une nouvelle révélation. La voix séduit, stupéfiante de beauté, ample, ductile, à la tessiture la plus large, aux graves solides et aux aigus aériens. C’est un constant bonheur que d’écouter et de voir ce Sifare touchant. Outre ses airs et récitatifs, son duo avec Aspasie est un moment fort, sans oublier le  « Lungi da te », avec le cor solo. Hongni Wu, beau mezzo chinoise, compose un Farnace complexe, dont l’opposition à son père relève autant de l’émancipation que de la félonie. Nous en retiendrons son air de colère « Venga pur », où Mozart évite délibérément les prouesses vocales et « Già dagli occhi », son air de repentance, qui autorise le retour final à la vertu. Entre temps, « Va l’error », volontaire, agité, confirme les défauts très humains de l’héritier versatile. Les moyens sont au rendez-vous, extraordinaires.

Après avoir chanté Aspasie à Lausanne, Lauranne Oliva s’empare d’Ismène, l’amante bafouée, mais fidèle, fille du roi des Parthes. Volontaire, au caractère bien trempé, mue par son amour pour Farnace, elle nous vaut trois airs, d’une grande élégance, accompagnés des seules cordes, qui relèvent davantage du style galant que de l’italianisme éblouissant. Une belle technique et un jeu convaincant lui permettent de dépasser la joliesse de ce personnage secondaire. Au II, son aria del paragone « So quanto a te dispiace » est servi avec la grâce, la fraicheur souriante attendues. Essentiels au déroulement dramatique, mais musicalement en retrait, le gouverneur (Arbate) et le tribun (Marzio), chantent chacun un bel air, où l’orchestre est volontairement limité, avec toutes les qualités attendues. Nicolo Balducci et Rémy Burnens en sont familiers et se montrent exemplaires. La véhémence, la tendresse, la colère, le désespoir, le sacrifice, l’illustration de la plus large palette de sentiments impressionne. Le souffle du drame, dû pour l’essentiel à l’expressivité vocale de chacun, était bien là ce soir.

Philippe Jaroussky a peu fréquenté Mozart. Pour autant, la direction qu’il imprime à l’Orchestre national Montpellier Occitanie en a adopté l’esprit et le style. Dès l’ouverture, enfiévrée, aux vents incisifs, avant la seconde partie, galante, et le presto final, on est de plain-pied dans son univers lyrique. La dynamique est soutenue, les contrastes, accusés, soulignant le drame. L’attention aux voix est évidemment constante. Tout juste les couleurs des vents, modernes, n’ont pas la verdeur, le fruité des instruments anciens. Les soli sont irréprochables de tenue.

Que retenir de cette production d’exception ? « Tout » serait-on tenté de répondre, tant l’intelligence, l’efficacité et la beauté sont au rendez-vous. Un magnifique spectacle, servi par des interprètes remarquables, d’un engagement total, qui font oublier combien l’enchaînement obligé des récitatifs et des airs est parfois fastidieux (3). On y croit. Et on espère qu’une telle réussite invitera d’autres salles à reprendre ce Mitridate, qui a enthousiasmé le public le plus large.

(1) Opportunément, la mise en scène relègue le contexte guerrier et politique au second plan. Les gardes, ainsi qu’ Arbate et Marzio, suffisent à marquer cette dimension. 
(2) A signaler la petite altération qu’apporte la mise en scène à Mitridate. A son retour du combat, blessé, désespéré, est substitué le suicide : il se poignarde avant les scènes de pardon et de transmission. Y gagne-t-on ? 
(3) Malgré la présence des chanteurs en scène, pourquoi nous avoir privés des voix du bref Coro final, artificiel certes, mais partie intégrante des conventions de l’opéra seria ?

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Wolfgang Amadeus Mozart

Mitridate, rè di Ponto

Dramma per musica en trois actes, K.87
Sur un livret de Vittorio Amadeo Ciogna-Santi, d’après la traduction italienne par Giuseppe Parini, de la tragédie de Racine
Création à Milan, Teatro Regio Ducal, le 26 décembre 1770

 

Détails

Mise en scène
Emmanuelle Bastet

Scénographie et costumes
Tim Northam

Lumières
François Thouret

 

Mitridate
Levy Sekgapane

Aspasia
Marie Lys

Sifare
Key’mon Murrah

Farnace
Hongni Wu

Ismene
Lauranne Oliva

Marzio
Remy Burnens

Arbate
Nicolo Balducci

 

Orchestre national Montpellier Occitanie

Direction musicale
Philippe Jaroussky

 

Montpellier, Opéra Comédie, le 8 avril 2025, 19 h

 

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