Invité régulier du Festspielhaus de Baden-Baden, Thomas Hengelbrock a choisi de présenter le Requiem de Mozart, en ce 11 novembre, jour de commémoration fêté discrètement du côté allemand, on s’en doute. Hasard du calendrier ou programmation ciblée ? Si rien n’a été communiqué à ce propos, on apprend toutefois par le programme que le célèbre chef d’orchestre a voulu mettre en valeur les inspirations mozartiennes pour son chef-d’œuvre inachevé. Selon lui, les accents sombres des couleurs orchestrales du Requiem ont leur origine dans les sources médiévales et baroques ; et c’est donc la rare Missa superba (1674) de Johann Caspar Kerll qui permet d’introduire le concert du jour.
Si elle est peu connue, la Missa superba porte bien son nom et de plus sonne de façon très familière à l’oreille. De son temps, Kerll était l’un des compositeurs les plus connus d’Allemagne et l’on a du mal à comprendre comment il a pu être ainsi oublié, tant cette messe se révèle équilibrée et rayonnante, témoignant d’une richesse inventive et d’un authentique foisonnement de motifs séduisants. Johann Sebastian Bach, par exemple, tenait la musique de son compatriote en grande estime et a d’ailleurs remanié le « Sanctus » de la messe dans son Sanctus en ré majeur BWV 241. Le Balthasar-Neumann-Ensemble se montre parfaitement à son aise, avec un bel équilibre de l’ensemble des pupitres, sur instruments anciens naturellement. La subtile polyphonie, quant à elle, est magnifiée par les chœurs d’un effectif de 45 chanteurs, disposés sur deux rangées de telle sorte que les voix se détachent distinctement en autant de soli, telles des roses impeccablement dessinées et individualisées formant néanmoins un superbe bouquet au final. Avec cependant une mention toute spéciale, en soliste, de la ravissante soprano Alice Borciani, au timbre frais et lumineux.
Après cette belle entrée en matière et quelques rapides et discrets jeux de chaises musicales chez les choristes, l’« Introitus » du Requiem résonne, sans fioritures, très âpre, voire heurté, pour rapidement s’imposer de toute sa force et sa familière évidence, tout en ineffable douceur et délicatesse. Comme pour la Missa Superba, les solistes sont restés au milieu des choristes, nous rappelant au passage que Mozart n’a pas réellement détaché d’arias et a au contraire pris soin de mettre l’orchestre et les solistes au même niveau, tous solidaires dans la douleur et le recueillement. Sous la conduite inspirée de Thomas Hengelbrock, tout de modestie et de superbe mêlées, les accents se font tour à tour dépouillés et nus, puis puissamment voire violemment enveloppants. Les solistes, juvéniles et appliqués, ne déméritent jamais et l’on soulignera plus particulièrement la performance du soprano Katja Stuber, techniquement impeccable. Le beau velours de l’alto Marion Eckstein et l’agilité vocale du ténor Jan Petrika convainquent également, mais l’on aurait aimé une basse plus profonde en la personne de Reinhard Mayr. Cela dit, c’est l’excellente qualité de l’ensemble du chœur qui est à souligner.
L’orchestre, à l’unisson et au service discret de l’œuvre, selon la volonté de son dirigeant, offre néanmoins des sonorités très intéressantes, notamment dans l’« Agnus Dei » où les violons laissent entendre des pizzicati à la limite du crincrin, ce qui souligne étonnamment la violence du sacrifice ; cependant les autres pupitres en adoucissent l’effet et les choristes achèvent, tout en délicatesse et en pureté, d’engendrer une atmosphère de résilience magnifiée dans le « Lux aeterna ».
En rappel, Thomas Hengelbrock, tout en grâce féline et avec une grande classe dans la gestuelle, nous propose tout d’abord un « Komm, o Tod, du Schlafes Bruder » de Bach où la mort est invoquée avec une tranquille sérénité et enfin une œuvre chorale de Tchesnokov, le Cherubim-Hymnus, a cappella, où les chœurs font une fois de plus merveille. Un bien beau concert, décidément superbe de modestie…