Les Contes d’Hoffmann donnent à Olivier Py matière à utiliser sa panoplie de magicien enclin à conjuguer avec une égale jubilation le clinquant et le pervers. Il confère au dernier chef d’œuvre d’Offenbach un éclairage scintillant, libertin et ténébreux.
La fée Électricité contribue généreusement à la fête. D’emblée, dans un prélude chargé de mystère, deux faunes affairés, fesses musclées et dénudées, dévoilent les démons du poète Hoffmann : le vin et les femmes Suit la scène de la taverne où apparaît Niklausse, incarnation de sa Muse déguisée en jeune homme. Après avoir chanté l’histoire de Kleinzach, Hoffmann accepte de raconter ses expériences malheureuses avec ses trois maîtresses confondues en une seule femme. Et, l’on se retrouve dans le Paris haussmannien de la Belle Époque avec ses beaux messieurs fêtards en chapeau haut de forme.
Traité avec humour, clarté et originalité, l’acte d’Olympia est une vraie réussite. Les manœuvres diaboliques commencent bien. Le suspense qui précède l’arrivée de la poupée est finement ménagé. On espère une rencontre exceptionnelle entre Offenbach et Py. Mais, à partir de l’acte d’Antonia, le metteur en scène revient au galop à ses propres démons. Avec ce dispositif scénique compartimenté à l’excès et qui ne cesse de pivoter sur lui-même, on finit par avoir le tournis. On ne s’attardera pas sur les intentions peu lisibles, les allusions nécrologiques prémonitoires douteuses, ni sur les scènes orgiaques — au demeurant bien réglées et sans vulgarité. Par contre, on retiendra l’impact de l’amusante scène entre Crespel et Franz, la similitude voulue des trois héroïnes, renforcée par le port d’une perruque semblable pour toutes les femmes du chœur. Une idée qui sert aussi bien les intentions d’Offenbach que celles d’Olivier Py. Et, en dépit de la fatigue visuelle jusqu’à l’éblouissement qu’elles engendrent souvent, on saluera les lumières très étudiées— en particulier le parti tiré du jeu des ombres portées.
Dirigé par Patrick Davin, un chef qui a du ressort, l’orchestre de la Suisse romande a un peu de mal à trouver ses marques, mais s’acquitte fort honorablement de l’exécution de cette partition colorée, aux changements de rythmes incessants, pleine de mystère et empreinte d’une grande tendresse.
Aphone, Patricia Petibon est remplacée pour cette dernière représentation par l’excellente soprano canadienne Jane Archibald, déjà présente au Grand Théâtre les deux saisons précédentes. Elle est parfaitement à l’aise dans les vertigineuses vocalises colorature du fameux air « Les oiseaux dans la charmille » qu’elle chante, nue en bas d’un immense escalier, avec grâce et espièglerie. La soprano Rachel Harnisch avec son timbre moelleux est une Antonia fragile. Elle apporte à « C’est une chanson d’amour qui s’envole tristement… » la nostalgie et la musicalité voulues. En Gulietta, la courtisane voleuse de reflet, Maria Riccarda Wesseling est moins convaincante. Les aigus sont tendus et la monotonie du phrasé engendre un certain ennui. En dehors de son atmosphère licencieuse et d’une très vivante partie de cartes, cet acte n’accroche pas vraiment et même la barcarolle passe bien discrètement.
Dans la Muse et Niklausse, la mezzo Stella Doufexis est une interprète dynamique et engagée ; sa diction française est excellente. Le bref passage où elle imite Olympia révèle des dons comiques qu’elle ne peut guère exploiter ici. Incidemment, Olivier Py a décidé de la faire abruptement apparaître en nuisette dans une tentative de séduire Hoffmann qui ne manque pas d’en profiter explicitement. N’est-ce pas pousser le bouchon un peu loin ?
Dans le rôle d’Hoffmann, le ténor Marc Laho, assez monochrome, étonne surtout par sa remarquable prononciation du français, ce qui est rare dans ce rôle très lourd. Après un début un peu terne, il s’avère néanmoins vocalement très solide sur la distance. Dans les quatre personnages machiavéliques, l’élégant Nicolas Cavalier chante agréablement, mais trop sagement ; le côté maléfique demeure pâle. Aussi bon chanteur que comédien, le ténor français Eric Huchet n’est pas loin de remporter la palme masculine de cette distribution. Présence, vis comica, voix bien projetée et timbre plaisant. Un artiste à suivre.
Dans ce contexte voué aux diableries, force est de constater que ces Contes d’Hoffmann inspirés ne provoquent plus le scandale initial. Est-ce une victoire ou une banalisation des excès ?