Les Traversées baroques se sont fait une spécialité des musiques post-conciliaires, entendez par là celles qui suivirent Concile de Trente, source de la Contre-Réforme et du baroque. Après avoir remarquablement illustré la musique de compositeurs rares de la Pologne de ce temps, l’ensemble se tourne maintenant vers l’Amérique andine, celle de l’Altiplano, dont Lima apparaît la capitale religieuse, politique et culturelle. Depuis quelques décennies, l’intérêt pour ces musiques a débordé le cercle restreint des spécialistes et a conquis les faveurs d’un public de plus en plus large, celui de ce soir en fait la démonstration.
On sait que l’évangélisation des autochtones était au cœur des préoccupations des rois catholiques et de leurs successeurs. Les mélodies grégoriennes, les polyphonies venaient de Tolède – la mozarabe – et de Séville, où brillait Francisco Guerrero, inondant les grands centres religieux. Simultanément, les missionnaires développèrent des musiques spécifiques pour leur enseignement, leurs paroisses et les couvents, avec des emprunts aux langues et pratiques musicales locales. Deux noms émergent parmi ceux des compositeurs de Lima : Juan de Araujo, et Torejon y Velasco, compositeur davantage tourné vers la musique profane, auteur du premier opéra du Nouveau-Monde.
Rythmée au tambour traditionnel de la région, l’entrée, comme la sortie, s’effectueront de façon spectaculaire avec une musique de procession, au moyen de laquelle instrumentistes et chanteurs gagneront leurs pupitres. Le programme coloré où pièces de dévotion , batailles et scènes animées se mêlent, renouvelle l’intérêt en permanence : Etienne Meyer joue sur les oppositions, les contrastes, les alternances tutti-soli, le double-chœur, les prémices du style concertant. Aucune oeuvre ne laisse indifférent, qu’elles soient rituelles, liturgiques ou paraliturgiques, qu’elles décrivent des affrontements, ou une course de taureau. On passe d’une atmosphère de ferveur à la joie débridée, insolente. Des rythmes de danse, enlevés, rompent ainsi la linéarité fréquente du chant sacré. La pièce anonyme « Un monsieur y un estudiante », qui narre les commentaires faits à l’occasion d’une procession par un Français et son compère sont d’une vie et d’un piquant qui surprennent heureusement. Les polyphonies – signées Guerrero ou anonymes – sont luxuriantes, d’où s’élèvent le chant de tel ou telle soliste. Ceux-ci sont tous familiers de la musique baroque, également connus, que nous retrouvons réunis autour d’Etienne Meyer. Le plus souvent c’est à un par partie qu’ils interviennent, ce qui favorise la clarté des polyphonies. Anne Magouët et Capucine Keller, les deux dessus dont la voix plane sur la polyphonie, font ainsi merveille. L’instrumentarium très riche, avec de nombreux musiciens polyinstrumentistes, qui passent de la guitare au luth ou au théorbe, du cornet à la flûte à bec, du positif au clavecin, de la flûte à la chalemie et à la bombarde, les combinaisons les plus diverses sont proposées, avec, toujours, un beau continuo. Les tempi et rythmes variés, changeants, les métriques, les accentuations, les hémioles confèrent une grande souplesse au discours. Etienne Meyer donne un souffle singulier à ces musiques chaleureuses, une sorte d’expressionnisme, fondé sur une pratique et une connaissance approfondie de ces répertoires et des textes. Toujours précis, dynamique, attentif à chacun de ses chanteurs, avec lesquels il fait corps.
Attendons donc l’enregistrement qui ne manquera pas, pour revivre et partager ce moment exceptionnel.