Musiques en Fête, incontournable levé de rideau des Chorégies, donne chaque année un avant-gout de la parure revêtue par le festival. Cette année, la volonté affichée par Jean-Louis Grinda est de placer les Chorégies sous le signe du renouveau et cela se remarque dès cette parenthèse introductive, grande fête populaire de l’art lyrique. Outre les nombreux nouveaux talents mis sur le devant de la scène du Théâtre antique, le programme traditionnellement pluriel, a été recentré sur la voix et l’opéra avec des solos, duos, trios, quatuors et même un hilarant septuor, allant du Bel Canto au répertoire dramatique, en passant par le Baroque. « Cette année, j’ai voulu renouveler les distributions avec de nouvelles voix que je suis allé chercher un peu partout et qui participent de l’espoir que l’opéra perdure en dépit de tous les Cassandre ! Et puis j’ai voulu en même temps renouveler le répertoire avec des œuvres que pour la plupart nous n’avons pas encore entendues à Musiques en Fête », nous a confié Alain Duault, concepteur historique du programme.
Lundi soir, Musiques en fêtes, s’est donc décliné sur un air nouveau. La famille s’est enrichie de jeunes visages, et parmi ceux-ci, l’heureuse surprise de ce florilège vocal, la soprano d’origine éthiopienne Mariam Battistelli. Débordant d’énergie, facétieuse, elle reprend ici avec brio le rôle de Musetta qu’elle avait déjà interprété à Monte Carlo en 2020. On peut aujourd’hui mesurer tout le chemin parcouru par la jeune chanteuse depuis sa prestation monégasque. Son passage par l’Ecole de perfectionnement du Palais des Arts de la Reine Sofia, lui a été manifestement bénéfique. Elle interprète Musette avec une facilité et une décontraction qui montre déjà tout du potentiel de la jeune soprano. Autre attraction vocale de la soirée, la mezzo-soprano Anna Goryachova, qui a fait sensation l’année dernière en Roméo dans I Capuletti et I Montecchi, se lance ici dans le répertoire baroque avec « Venti, turbini, prestate » du Rinaldo de Haendel avec des moyens vocaux exceptionnels servis par un timbre à la fois sombre et moiré conférant à son interprétation profondeur couleurs, et expressivité. Elle cultive la virtuosité et un art consommé de l’ornementation qui révèlent une artiste de fière et belle allure. Autres nouvelles venues : Aurélie Jarjaye à la voix émouvante dotée d’un léger vibrato, touche au cœur dans « Memories » de Cats et Sandra Hammoui, au chant soigné et au timbre clair, mais qui ne possède pas tout à fait la légèreté et la dimension aérienne requises pour le « Ah non credea mirarti » de La Somnambula.
Coté masculin, le ténor Julien Henric a suscité le frisson dans l’air de Roméo « Lève-toi Soleil » servi par un timbre superbe, une voix homogène et assurée, un aigu percutant, avec une projection et une diction impeccables. Le ténor Diego Godoy impressionne par l’ampleur de ses moyens et son engagement dans « Di quella pira » de Il Trovatore. L’artiste ne manque pas d’ardeur et d’héroïsme, même si on s’attendrait toutefois, avec une telle puissance, à plus de nuances et davantage d’amplitude et de virtuosité. Il s’est en revanche montré beaucoup plus à son aise en Duc de Mantoue, dont il a la brillance et l’assurance, motivé sans doute par sa partenaire (que de baisers dans ce duo !) Emy Gazeilles, Gilda au timbre clair et à luminosité juvénile. Les ténors étaient d’ailleurs fort bien représentés dans cette soirée, puisqu’outre Julien Henric et Diego Godoy, Musiques en fête accueillait également Kaëlig Boché en Don José. Il n’a guère été aisé au jeune chanteur de trouver ses marques face à la Carmen stratosphérique de Marina Viotti dans le duo final de l’acte 1. Dans La Fleur que tu m’avais jetée, au-delà de qualités évidentes de timbre et de ligne de chant, il a toutefois manqué puissance et charisme au jeune ténor pour être pleinement convaincant. Le rôle de Don José n’est donc pas (encore) pour lui. En revanche, à ce stade, il ferait merveille dans Ferrando de Cosi Fan tutte dont il possède le phrasé, le timbre et les nuances piano. La basse Adrien Mathonat confère à l’air « O wie will ich triumphieren » de somptueuses couleurs vocales. Sa descente vers les tréfonds abyssaux de sa tessiture pourrait toutefois être moins tendue et davantage audible, mais la voix convoque à l’évidence l’émotion. Aucune basse française ne possède actuellement comme celle-ci une telle densité de timbre si caractéristique des chanteurs de l’Europe de l’Est.
Parmi les artistes davantage familiers de l’évènement, Le baryton-basse argentin Nahuel di Pierro s’est quant à lui distingué par la noblesse du grain profond d’une voix chaude, mais aussi une diction impeccable qui rendent son interprétation de « Vi ravviso, o luoghi ameni » de La Somnambula magistrale.
Outre les nouveaux visages, certaines voix de la grande famille de Musiques en Fête ont répondu présent, tel Florian Sempey superbe d’autorité et de présence dans « Estuans Interius », du Carmina Burana de Orff, Jerôme Boutillier égal à lui-même dans le Toast d’Escamillo qu’il habite comme à son habitude avec maestria, Côté féminin, les stars de la soirée, ont incontestablement été Marina Viotti et Catherine Hunold, venue en invitée de dernière minute. Sa participation à Musiques en Fêtes a permis de faire découvrir au public qu’elle n’est pas seulement wagnérienne, mais également une grande interprète dramatique capable de s’emparer avec brio de Macbeth ou Norma, dans laquelle elle a d’ailleurs brillé en duo avec une Marina Viotti, superlative. Cette dernière a montré qu’elle était en effet capable d’épouser tous les répertoires avec une aisance déconcertante : de Bellini à Bizet en passant par une « Historia de un amor » d’Almaran, où elle se fond à la perfection dans le style andalou jouant de son timbre rond et corsé pour livrer une lecture éminemment sensuelle. Pour rester dans l’exceptionnel et le spectaculaire, il convient de mentionner le moment de bravoure et la pyrotechnie vocale de la soprano Catalane Sarah Blanch Freixes dans l’exubérant « Glitter and be gay » tiré de Candide de Berstein. La colorature virtuose est aussi une comédienne hors paire qui tient la scène en véritable show-woman, obligeant d’ailleurs le caméraman à épouser son ballet de contorsions scéniques pour pouvoir la suivre ! Dans la même veine de l’entertainment de haute volée, et complétant ce florilège vocal, la chanteuse Isabelle Georges s’est illustrée avec brio dans « My heart belongs to Daddy » de Cole Porter. Portant haut la tradition du Music-Hall combinée à la maestria et l’éclectisme de l’entertainer à l’Américaine, elle nous livre un numéro pétillant et plein d’allant.
Pour accompagner ce parterre d’artistes, l’Orchestre national de Montpellier, le Chœur de Parme et le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, avec la maîtrise de l’Opéra d’Avignon dirigés par les chefs Luciano Acoccella et Didier Benetti qui ont été rejoints cette années par la jeune cheffe Chloé Dufresne Révélations « chef d’orchestre » aux Victoires de la musique et assistante de Gustavo Dudamel la direction musicale du Los Angeles Philharmonic. Mentionnons également le chœur d’enfants de Pop the Opera dans un émouvant medley Disney.
Musiques en Fête nous a offert lundi soir une belle soirée lyrique, qui ne se perd pas sur des chemins de traverse. Renouant ainsi avec l’esprit de ses années fondatrices, cette treizième édition conçue comme une ode à la voix (et aussi à la joie) a su, sans nul doute, capturer le regard et l’intérêt tant du grand public que de l’amateur éclairé.