« Le ciel serein d’Espagne est sans embrun » (« The Rain in Spain… » en version originale) fait partie des phrases cultes du cinéma. Bercés depuis des lustres par la version cinématographique de My Fair Lady, on vient au théâtre rechercher malgré soi des émotions passées. La version théâtrale originale est arrivée en France avec beaucoup de retard (1995 à Mogador avec Richard Chamberlain), et n’a donc pu atteindre les chiffres record de Broadway (2717 représentations) et de Londres (2281 représentations), où triomphaient au début Julie Andrews et Rex Harrison. Plus récemment, un regain d’intérêt s’est manifesté avec de nouvelles productions, en anglais à Paris (Châtelet) en 2010 et 2013, et en allemand à Karlsruhe en 2015.
La production de ce soir, créée à Metz en 2012, a pour intérêt principal de faire revivre l’œuvre en version française, ce qui n’avait pas été le cas depuis fort longtemps (Genève en 1968, Lille en 1977 avec Claudine Coster, qui reprend le rôle à travers la France entre 1983 et 1986 dans la version française de Bruno Tellene et Pierre Carel – mais sans l’autorisation de la présenter à Paris). Malheureusement, même si la version d’Alain Marcel ne démérite pas vraiment, elle n’a ni le chic, ni l’impertinence, ni les envolées lyriques de celle du film de George Cukor. Donc pas de « Ciel serein… »
© Photo Arnaud Hussenot – Metz Métropole
Autre choix délicat, la décision de sonoriser la production. Peut-être cela est-il judicieux concernant certains interprètes non chanteurs, mais alors il aurait fallu y mettre le prix. Avec une installation sonore a minima, nous avons à subir une déferlante sans nuances, venant d’un point unique (aucune spatialisation), et si les moments sans sonorisation (comme le délicieux chœur des domestiques du professeur Higgins excellemment chanté par les chœurs de l’Opéra de Metz-Métropole) passent parfaitement bien, le reste met les oreilles à rude épreuve, sans parler de quelques dérapages (micro en panne). Et cela est d’autant plus désagréable que l’orchestre de l’Opéra de Massy, à côté de cette débauche de décibels, paraît presque éteint malgré les efforts de son chef Didier Benetti, et souvent même lourd, notamment au moment des courses d’Ascot.
La mise en scène de Paul-Émile Fourny est plutôt fade, et la mayonnaise ne prend qu’à certains moments. Surtout, la frontalité de la représentation finit par être lassante, et les ballets limite ringards (les boys avec les mains tenant les revers de leur veste) ne sont rattrapés que par les excellents numéros de claquettes. Décors et costumes sont honorables pour une production destinée à voyager, mais là encore pourquoi avoir mis des inscriptions en français sur les bâtiments (messins ?) et servir la bière dans des chopes en grès, alors que l’on parle dans le texte de « langue anglaise » ? N’aurait-il pas été préférable d’éviter tous ces mélanges, et d’aller jusqu’au bout de l’adaptation en situant l’action aux Halles de Paris ou au marché de Metz, et enseigné à Elisa le français au lieu de « la gloire de la langue anglaise » ?
La distribution est fort honorable. Même si Jean-Louis Pichon paraît physiquement un peu âgé pour le rôle d’Henry Higgins, il en a la prestance et la distinction naturelle, une excellent diction et un parlé-chanté très agréable. Le délicieux Lionel Peintre campe un colonel Pickering bien agité, au point que l’on pense à un contre-emploi, mais au total il occupe bien l’espace et pimente un peu une production globalement trop sage. Quant à la Mrs Pearce de Marie-José Dolorian, c’est la parfaite gouvernante dont rêvent les Anglais. Le père d’Eliza est interprété de manière joviale et truculente par Philippe Ermelier, sans qu’apparaisse vraiment le côté parfois inquiétant du personnage. L’amoureux transi Freddy est joliment chanté par Raphaël Brémard, et Mrs Higgins bien personnifiée par Catherine Alcover. Les rôles secondaires sont bien distribués. Reste l’Eliza de Fabienne Conrad. Reprenant le rôle créé en 2012 par Julie Fuchs, elle a fort à faire avec ce personnage plus complexe qu’il n’y paraît. Son argot est exagéré et peu naturel avec de fausses intonations flamandes et parfois même canadiennes, et ses attitudes sont souvent outrées et limite vulgaires. Plus à son aise dans la seconde partie, quand le papillon est sorti de sa chrysalide, elle n’en éprouve pas moins des difficultés vocales quand sa voix part par saccades, et présente une incapacité à articuler les parties chantées qui font ressembler ses airs à de simples vocalises.
Seul point amusant, la fin où Eliza chausse les mules d’Higgins, une manière astucieuse de contourner le dénouement trop machiste de la comédie musicale. Elle ne rejoint pas pour autant la fin du Pygmalion de George Bernard Shaw (où elle épouse Freddy), mais indique clairement ainsi qu’elle a décidé de rester et de prendre le pouvoir.