Le mélomane méritant qui renonce au soleil pour rejoindre en matinée son siège à l’Opéra de Rennes a le droit de se sentir un peu frustré : on lui demande d’arriver 30 minutes en avance pour une représentation qui démarre avec 20 minutes de retard. Le motif invoqué est les réglages techniques des caméras et micros dont la salle est truffée. En effet, la séance du jour constitue une générale avant la retransmission en direct sur écran géant le mardi 4 juin. Nous apprenons ensuite que les cantatrices interprétant Violetta (Maïra Kerey) et Annina (Sophie Angebault) sont toutes deux remplacées pour cause de maladie et d’accouchement prématuré. L ‘arrivée d’un petit Balthazar – on nous dit tout – ne pouvant que nous réjouir, nous nous calons enfin dans notre fauteuil.
La première chose qui frappe dans cette version de La Traviata, c’est l’orchestre épatant dirigé avec une fougue recueillie par le jeune chef néerlandais Antony Hermus. Les cordes sont limpides, les bois soyeux et l’Orchestre symphonique de Bretagne visiblement en symbiose avec le chef invité.
Le second point fort de la représentation est l’exceptionnelle prestation de la soprano grecque Myrto Papatanasiu. Arrivée la veille, elle reprend le rôle au pied levé avec un aplomb remarquable. Cette mozartienne, qui obtenait l’an passé le Callas Debut Award pour sa Violetta à Dallas et Montréal, se révèle une interprète de haut vol. La diction est excellente, le timbre corsé, le grave chaleureux et les aigus somptueusement velouté. Quelques pianissimi peu assurés relèvent du détail. On a hâte de l’applaudir cet automne dans Fiordiligi et Alcina pour ses débuts à l’Opéra de Paris.
Face à elle, la distribution est malheureusement un peu moins enthousiasmante. Le Germont de Marzio Giossi est d’une raideur physique particulièrement désagréable qui enferme le rôle dans sa dimension la plus antipathique, et donc la moins intéressante. Les défauts d’ampleur vocale et de nuances sont compensés par la diction, la couleur de timbre et une longueur de souffle, qui lui valent, au tomber de rideau, sa part d’applaudissements.
Leonardo Caimi campe un Alfredo sage aux aigus difficiles. La main scande nerveusement la ligne mélodique et beaucoup de notes sont passées en force. Le programme nous apprend qu’il est coutumier du rôle. Faut-il alors mettre sur le compte de la mise en scène son manque d’aisance physique ?
Jean-Romain Vesperini s’enlise effectivement dans une direction d’acteur convenue. Si son travail a le mérite d’une certaine recherche esthétique, la transposition dans l’Italie des années 20 n’est pas concluante. Le décor se contente de n’être qu’un décor et la scénographie laisse à désirer. Violetta passe les Alpes pour s’installer dans l’Italie de Mussolini. Les chemises noires veulent sans doute matérialiser la violence sociale dont est victime notre dévoyée. La scène du lynchage d’un travesti par Gastone tandis qu’il chante « E Piquillo » est à ce titre à la fois efficace et visuellement réussie, nous projetant tout à coup dans une scène de Cabaret. Mais Verdi a-t-il besoin de convoquer tant d’autres univers esthétiques pour faire sens ?