On attendait beaucoup de cette production de Salomé et on admettra d’emblée qu’elle en valait la peine. Devant une salle presque comble (ce qui est inhabituel ici pour un opéra de Richard Strauss), l’Opéra de Montréal nous revenait en force avec ce que d’aucuns considèrent déjà comme l’événement musical de l’année dans la métropole québécoise.
C’est d’abord Nicola Beller Carbone, dans le rôle titre, qui fait sensation. Non pas en raison d’une voix qui, bien qu’avenante, manque d’ampleur, surtout dans le bas médium et dans les graves. Mais parce que son jeu servi par une plastique idéale, sollicite constamment notre attention. Tour à tour hystérique et délirante dès qu’elle rencontre Jokanaan, petite fille capricieuse par ses exigences, princesse perverse dévorée par d’effroyables fantasmes, courtisane voluptueuse dans la danse, cette Salomé, sans cesse en mouvement, passera vraisemblablement dans les annales montréalaises comme une des plus abouties qu’on ait vue sur la scène locale. Quelle intensité au niveau de l’engagement dramatique et quel sens théâtral !
John Mac Master campe un roi très solide vocalement, vulgaire et drôle à souhait scéniquement. Lorsqu’il enlève du cou d’Hérodias un collier qu’il veut offrir à Salomé pour qu’elle renonce à son désir de vengeance, le public ne peut d’ailleurs retenir quelques rires. Une fois de plus, à un âge avancé, Judith Forst en Herodias donne le meilleur d’elle-même. Sa prestation révèle une remarquable personnalité et un engagement de tous les instants. Bien qu’un peu usé, son mezzo, aux couleurs très sombres, conserve la force et la souplesse nécessaires pour rendre au personnage toute sa dépravation.
Par rapport aux autres protagonistes, le Jokanaan très sonore de Thomas Hayward ne démérite pas. Citons enfin, parmi d’excellents rôles secondaires, le Narraboth de Roger Honeywell qui chante et joue avec aplomb..
Le décor de Bruno Schwengl est sobre et original ; une pièce sombre dont les murs et le plafond se déclinent vers l’arrière avec au fond la porte de la citerne. L’espace relativement restreint dans lequel se déroule l’action offre l’avantage de mettre en valeur l’individualité des personnages. On apprécie la manière originale dont Sean Curan met en scène le drame dans le plus grand respect des didascalies (à quelques détails près, Salomé à la fin est décapitée par un bourreau).
Directeur musical de la formation qu’il dirige ce soir, Yannick Nézet-Séguin accentue la splendeur pléthorique d’une orchestration pour laquelle il semble éprouver un grand enthousiasme : bel équilibre entre les pupitres, aucun décalage entre la fosse et le plateau, toujours attentif à ce qui se passe sur scène, soutien sans faille aux chanteurs… Le maestro l’emporte à l’applaudimètre à égalité avec Nicola Beller Carbone.