Première bonne nouvelle de la soirée : Piotr Beczala n’a plus de barbichette et il est décidément beaucoup mieux comme ça. Seconde raison de se réjouir : le ténor se montre particulièrement fringuant, tout sourire, visiblement heureux de chanter devant le public de Baden Baden, venu nombreux l’applaudir. Troisième motif de satisfaction : le répertoire choisi, plutôt léger, forme un programme très réussi. Voilà de quoi passer une soirée mémorable. Dédié à Richard Tauber – l’interprète fétiche de Lehár pour qui le compositeur écrivit des airs adaptés à sa voix, les « Tauberlieder » –, le récital commence néanmoins avec Verdi, bicentenaire oblige. Et c’est l’occasion, avec l’ouverture de Nabucco, de découvrir une formation locale, la Baden-Badener Philharmonie, à la sonorité digne des meilleurs ensembles, conduite superbement par le Polonais Lukasz Borowicz. Le chef d’orchestre, très séduisant, a des faux airs de Verdi jeune lorsqu’il dirige : baguette immense et frac à l’ancienne. Sa gestuelle, cinématographique et expressive participe au spectacle, l’ensemble des pupitres résonnant distinctement avec force et couleurs sous sa direction.
Suit un « Di’ tu se fedele », extrait du Bal masqué, qui nous bluffe d’entrée de jeu. La voix de Piotr Beczala, puissante, percutante dans les aigus, a des reflets de miel. La science du legato étonne mais ce sont les graves ainsi que la facilité de passage d’un registre à l’autre qui marquent le plus. Dans l’extrait de Rusalka, le ténor, incontestablement doué pour ce répertoire, continue d’impressionner par une voluptueuse alternance de volume et de douceur. Fin de première partie avec Verdi de nouveau (« Ella mi fu rapita ! » quelque peu maniéré mais convaincu) et une interprétation de « Ah, lève-toi soleil », radieuse comme il se doit où l’on relève une qualité de la diction qui ne limite pas au français.
Après la pause, en effet, Beczala – qui nous fait la grâce de s’être changé, avec élégance – propose un allemand impeccablement prononcé, en hommage donc à Tauber, mais avec une personnalité qui rappelle davantage Fritz Wunderlich. Couvert par l’orchestre, quand il susurre, dans « Freunde, das Leben ist lebenswert », Il s’impose peu à peu et explose avec le final « Das Leben ist schön, so schön ». Le public est aux anges et le fait savoir bruyamment. On se laisse aller, dans l’enchaînement d’airs qui suit, où les inflexions de la voix font merveille. Après une Danse hongroise où l’attention se déporte de nouveau sur Lukasz Borowitz, toujours aussi exubérant, arrive le tube : « Dein ist mein ganzes Herz ». Rien à jeter dans ce bijou qu’on n’osera pas qualifier de pacotille. On peut découvrir l’essentiel du contenu de la seconde partie dans le disque récemment paru chez Deutsche Grammophon.
Pour les bis, Piotr Beczala fait son joli cœur avec un « Ich bin so Galant » craquant, non sans nous annoncer juste avant son dernier rappel que cette journée est un peu particulière puisqu’il fête ses 21 ans de mariage. C’était donc ça ! Des noces d’opale. On lui souhaite de garder son charme intact jusqu’aux noces d’or…