Telle l’icône d’Hollywood, La Traviata proposée par le Staatsoper Berlin est à la fois fragile et rayonnante, surexposée mais intouchable…
Avec la mise en scène de Peter Mussbach, on comprend d’emblée que l’on est au cinéma car, avant même le lever du rideau, on constate la présence d’une résille tendue entre la salle et la fosse qui donne un grain poudré aux tableaux visuels, à l’instar de l’effet obtenu sur les écrans des salles obscures. La distance ainsi mise entre le plateau et les spectateurs est accentuée par un décor inexistant. La scène tendue de noir est parcourue par les personnages de la pièce vêtus de somptueux habits et robes dont les étoffes, également noires, chatoient dans les lumières stroboscopiques, selon qu’elles sont de soie, de velours, d’organdi ou pailletées. Seule Violetta porte une robe blanche, semblable à celle de Marylin dans Sept ans de réflexion, qu’une lumière noire rend phosphorescente dès que la scène est plongée dans l’obscurité.
Le parti pris scénique serait-il pas de faire de La Traviata une icône d’opéra, l’équivalent de ce que Marylin, justement, est pour le cinéma ? On comprend alors mieux son omniprésence sur le devant de la scène, même quand l’action ne la concerne pas. Un autre rapprochement avec Marylin peut être fait en ce qui concerne la fascination exercée sur les hommes, à tel point que les échanges avec le père d’Alfredo sont plus proches d’un jeu de séduction entre homme dans la fleur de l’âge et une starlette que du rapport qu’un vieillard soucieux de la renommée de sa famille est sensé avoir avec une courtisane.
Cependant, à vouloir faire son cinéma, cette production n’est pas à l’abri de ses limites : on relève ici le caractère désincarné du jeu des acteurs par rapport au théâtre vivant. Sur cette scène sombre, sans repère de décor, les déplacements très chorégraphiés des personnages offrent un spectacle sans véritable relief en dépit de performances musicales très honorables.
L’orchestre du Staatsoper Berlin, aux sonorités presque martiales sous la baguette de Stefano Ranzani, rivalise de précision avec les chœurs pour rendre l’exécution de cette partition la plus brillante possible.
La soprano russe Anna Samuil, annoncée comme souffrante, assume néanmoins le rôle de Violetta Valéry de façon magistrale, même si sa palette de nuances est trop réduite pour faire d’elle une interprète de référence du rôle. Francesco Demuro nous donne à entendre un Alfredo Germont au timbre très clair – peut-être trop – et à l’émission très tendue ce qui confère au personnage un tempérament plus agressif qu’amoureux. On comprend mieux que Violetta soit plus sensible à la voix chaude et ronde de Giorgio Germont (Alfredo Daza), donnant du même coup une autre clef de lecture à l’intrigue. Dans cet opus, encore plus que dans ses autres opéras, Verdi a fait la part belle à son trio fétiche (soprano, ténor, baryton) ne laissant que peu de partition aux autres solistes dont les véritables prestations interviennent de concert avec le chœur.