Pour ses 175 ans – fêtés tout au long de l’année – le Liceu de Barcelone reprend cette production londonienne de Norma datant de 2016. Voilà sept ans que l’œuvre de Bellini n’avait pas été à l’affiche de la capitale catalane. Si le cast est applaudi à tout rompre à la fin de la représentation, en revanche, la mise en scène d’Alex Ollé, enfant du pays et artiste en résidence, soulève huées et bravi à la hauteur d’une Première parisienne.
Il faut dire que sa transposition dans un présent dystopique de totalitarisme religieux peut heurter certaines sensibilités : le décor, en effet, est composé d’une forêt de crucifix dont l’accumulation semble annuler le message originel pour porter celui d’un catholicisme dévoyé. Norma apparaît en papesse, tout de rouge vêtue et brandit une croix qui ressemble à celle de l’Opus Dei. Adalgisa ainsi qu’un aréopage de femmes vêtues en cardinaux complètent ce clergé féminin à même de choquer une partie du public.
Pourtant ce cadre fonctionne plutôt bien tout au long du spectacle en particulier lorsque les aveux d’Adalgisa deviennent une véritable scène de confession qui souligne le rapport hiérarchique entre les deux femmes tout en valorisant leur franchise. Les deux chanteuses y révèlent une complicité et une puissance émotionnelle dont elles ne se départiront pas tout au long de la soirée.
Surtout, l’agrégat de crucifix prend tout son sens à la fin de l’œuvre lorsque Norma, marchant vers son sacrifice, se meut en une figure christique qui rachète ainsi, à elle seule, les fautes de la communauté. Il ne s’agit pas d’une extrapolation délirante de la part du metteur en scène puisque le livret souligne textuellement cette idée.
Huées sévères donc, d’autant plus que les belles lumières de Marco Filibeck mettent en valeur un travail plastique très réussi d’Alfons Flores en charge de la scénographie.
© David Ruano
Si les encensoirs, les pénitents cagoulés, les repentants portant la croix … permettent d’animer visuellement la scène, en revanche, la soirée souffre d’une direction d’acteur assez indigente qui met en difficulté certains chanteurs. C’est le cas de Varduhi Abrahamyan (que l’on entend régulièrement à l’Opéra de Paris) dont l’Adalgisa semble souvent perdue sur scène et assez monolithique dans son personnage éploré. Ceci dit, la mezzo arménienne bénéficie d’un timbre assez clair, aux teintes soyeuses qui fonctionne parfaitement dans les duos, tant avec Norma qu’avec Pollione.
Marina Rebeka campe une magnifique Norma aux graves bien projetés, jamais appuyés, aux aigus puissants ou ciselés à l’envi. Femme déchirée, renonçant à la séduction facile pour s’exposer, authentique, sa druidesse profite d’une ligne vocale souveraine. La voix, libre, ductile, est toujours au service de l’expressivité, refusant l’artifice ou l’effet attendu.
Son incarnation, profondément juste et émouvante, accompagne l’évolution du personnage avec une remarquable intelligence. Elle accentue, par contraste, la faiblesse du personnage de Pollione que défend Riccardo Massi avec une grande sincérité. La voix puissamment projetée et bien verticale, à la diction claire, montre toutefois quelques défauts de justesse dans ses premières interventions avant de s’affirmer au cours de la soirée jusqu’à une dernière scène particulièrement touchante.
Complétant la distribution, Nicolas Testé est annoncé comme convalescent mais assume pleinement son rôle d’Oroveso y compris lorsque la mise en scène lui impose, bien inutilement, de tirer une balle dans la tête de sa fille.
Sous la direction engagée de Domingo Hindoyan, extrêmement attentif au plateau, aux nuances, aux couleurs, l’Orchestre Symphonique du Grand Théâtre du Liceu est nourri de transparence, de sensualité autant que de fougue. Il régale l’oreille tout comme le Chœur du Grand Théâtre du Liceu précis et capiteux.