Il est bon, parfois, de sortir des sentiers battus et des festivals les plus médiatisés pour prendre le pouls d’une France festivalière plus secrète.
Ainsi de ce festival du Pays d’Ans, dont c’est la dix-huitième édition, aux confins de la Dordogne et de la Corrèze, pays de vallons, jadis de vignobles, où le XVIIe siècle a laissé de ces splendeurs austères dont il eut la clef.
C’est dans ce genre de manifestations que se ressent au mieux l’alchimie difficile entre choix des programmes, caractère des lieux et goûts du public. Après la pianiste Sarah Lavaud et des représentations du Médecin malgré lui, le Festival du Pays d’Ans proposait cette année un amusant pari : faire entrer dans la grand’salle du Château de Hautefort (celui-là même qui abrita les soupirs de Louis XIII pour la demoiselle des lieux) pas moins que des extraits de la Symphonie n°2 de Tchaikovski, de Sadko, des Tableaux d’une Exposition, de la Nuit sur le Mont Chauve et autres orgues orchestrales, entrelacés des Nuits d’Eté de Berlioz – le tout étant confié à l’Ensemble Carpe Diem et à la mezzo Wilke Te Bruemmelstroete.
Un enregistrement des Tableaux d’une Exposition jadis permit d’entendre ce que l’Ensemble Carpe Diem, sous la férule exigeante de son maître ès transcriptions, Jean-Pierre Arnaud, fait de cette musique. Transcriptions d’abord au sens littéral, retrouvant pour huit ou neuf instruments les voies de l’éloquence symphonique, et bien souvent y parvenant au-delà de toute attente (dans les Moussorgski, justement). Transcriptions également – ou transfusion – de timbres, avec une ingéniosité absolument prodigieuse, opérant des déplacements de pupitre et adjugeant par exemple aux vents et bois (hautbois, piccolo, flûte) des parties de cordes dont ils délivrent le soyeux et l’acuité.
Ce n’est pas moindre curiosité que de retrouver entre deux Ring avec Thielemann à Bayreuth la mezzo Wilke Te Bruemmelstroete. Passer des brumes des hojotoho de Siegrune aux subtilités de Berlioz n’est pas chose aisée, mais la fidélité l’emporte, puisque la mezzo entretient avec cet ensemble et avec le festival des liens d’amitié. Autant le dire : sa vocalité n’épouse pas toutes les moirures du texte berliozien. Mais quelle fermeté technique ! Il y a là une solidité vocale autorisant des effets de phrasé et de legato vraiment admirables – et la chanteuse wagnérienne laisse souvent percer la chanteuse classique, formée à Bach.
Je le disais récemment dans l’éditorial de juillet, il me semble qu’un Festival ne se juge pas seulement à l’aune de son programme musical. Que celui-ci, dans le cas présent, soit de très haut vol ne saurait faire passer sous silence la simple beauté des lieux : le château de Hautefort, avec ses toits sphériques et la pente douce de ses ardoises, son austérité classique rehaussée de joliesses à l’italienne et avec son surplomb lui-même monumental sur le pays alentour et de ravissants jardins à la française, est non seulement une pièce maîtresse de l’architecture du XVIIe siècle, mais un rêve de pierre. La galerie à jour où est, après le concert, et en compagnie des musiciens, servie une collation modeste mais conviviale perpétue l’enchantement du lieu.
Il va de soi que les Festivals sont aussi devenus un moyen de réhabiliter et faire vivre des lieux que les coupes budgétaires condamneraient à une progressive sclérose. Disons le tout net : il y a plus de grandeur à offrir à trois cents personnes un beau programme musical dans ce vivant écrin de pierre qu’à programmer une starlette du lyrique dans la salle surchauffée et hideuse d’un festival subventionné.
Sylvain Fort