Comme « Michelle » et « ma belle », « Offenbach » et « fête » sont des mots qui vont très bien ensemble. Radio Classique les accolait samedi dernier, 18 juin, le temps de deux concerts au Théâtre des Champs-Elysées, le deuxième retransmis en direct sur l’antenne puis disponible en replay sur le site de la station. Le programme, imaginé et commenté par Alain Duault accompagné d’Olivier Bellamy, réunissait une poignée de nos meilleurs chanteurs autour des plus belles pages de celui que Rossini surnommait « le petit Mozart des Champs-Elysées ».
Beaucoup de tubes évidemment mais aussi quelques airs moins souvent entendus, telle la valse d’Edwige tirée de Robinson Crusoe, un opéra-comique daté de 1867. Cette nouvelle tentative d’Offenbach d’aborder le genre sérieux, après l’échec retentissant de Barkouf en 1860, ne fut pas concluante. Le public de la première applaudit d’abord les airs les plus enlevés, comme la chanson du pot-au-feu, tandis que les chroniqueurs ironisaient : « peu ou point de cocottes, en dehors de celles qui tiennent au théâtre ; on sent que le maître se range et épouse, ce soir, la musique dite sérieuse ; en revanche, pas mal de familles, évidemment amies du genre patriotique de l’opéra-comique et curieuses de voir comment l’auteur de la Grande-Duchesse va s’en tirer ». Plutôt bien si l’on en juge à la qualité d’une musique que Natalie Dessay ou Joan Sutherland n’hésitèrent pas à ajouter à leur répertoire. Il incombe à Amélie Robins, présentée par les deux animateurs, comme la révélation de la soirée, d’en restituer le virtuose éclat. Révélation ? Peut-être pas, mais un chant étincelant, un suraigu dépourvu d’acidité et une personnalité pétillante qui trouve aujourd’hui en Eurydice (Orphée aux Enfers) ou en Gabrielle (La Vie parisienne) le terrain d’expression le mieux adapté à son soprano léger.
Parmi les autres petits plaisirs réservés aux amateurs de raretés, figure l’intégralité du duo de la gantière et du bottier, dans La Vie parisienne, traditionnellement coupé après le rondeau de Gabrielle (« autrefois plus d’un amant ») alors qu’il était suivi à la création d’une demande en mariage de Frick, prolongée d’une reprise du refrain « je suis la gantière ». Les versions longues des ouvertures de La belle Hélène et d’Orphée aux enfers ont également été préférées aux originales sans doute pour mieux mettre en valeur l’Orchestre national d’Ile-de-France et quelques-uns de ses solistes, dirigés par Nicolas Chalvin, avec – heureusement – plus de décence que Marco Zambelli, l’autre soir lors du récital d’Ermonela Jaho et de Charles Castronovo. Ce n’est pas parce que la musique d’Offenbach est légère que l’on ne doit pas discipliner sa baguette ou qu’il faut la culbuter. Le chef d’orchestre et hautboïste, dont on a pu – dans Mozart notamment – apprécier la juste mesure, applique les mêmes règles de conduite à des partitions que seuls aujourd’hui quelques esprits intégristes et chagrins s’acharnent à qualifier de mineures.
Comme ils ont tort ! Que de trésors, que de tendresse et de mélancolie parfois, de fantaisie, d’imagination, de folie derrière ces couplets aux allures simples et que de difficultés pour en restituer l’esprit sans le corrompre. A cet exercice, tous les interprètes, si fameux soient-ils, ne sont pas égaux. Béatrice Uria-Monzon, toujours royale d’allure, chausse des lunettes pour casser son image de diva. L’accessoire ne suffit pas à créer l’illusion. Même bigleuse, ce n’est pas La Perichole ou la Grande Duchesse qui chantent mais Didon de Berlioz égarée dans un répertoire où on ne la sent pas à l’aise. Le tempérament dramatique et l’écriture inconfortable de deux rôles conçus au format particulier d’Hortense Schneider, l’égérie d’Offenbach, ne sont pas seuls en cause. La diction importe autant que la voix. Elle n’a jamais été la qualité première de celle qui reste une des plus grandes Carmen de sa génération.
Ce n’est qu’avec Giulietta dans la Barcarolle des Contes d’Hoffmann que la mezzo-soprano reprend sa superbe, au risque d’éclipser sa partenaire, Karine Deshayes dont une des animatrices de Radio Classique – Albina Belabiod – compare le timbre aux reflets irisés du soleil levant sur l’océan. Juste et poétique comparaison qui nous vaut une des plus belles Hélène possibles aujourd’hui dans un duo du rêve langoureux. Hasard amusant de la programmation, elle retrouve en Pâris Florian Laconi qui chantait Don José à ses côtés dans Carmen il y a quelques semaines à Avignon. Autre temps, autre musique mais le ténor a déjà montré, à Avignon notamment cette saison dans La Vie parisienne, combien il maîtrise le genre bouffe, grâce entre autres à la clarté de la prononciation et à un aigu crâne, habilement mixé lorsqu’il doit se faire tendre. Le chanteur apparaît sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées plus intimidé que d’autres fois. A part lui, aujourd’hui pourtant, qui pour balancer avec autant d’aplomb l’air de Gloria Cassis sans que l’on ne perde une miette de son désopilant refrain (« il y a des gens qui se disent espagnols ») ?
S’il faut décerner cependant une palme, elle revient à Florian Sempey. Qu’il soit Jupiter, général Boum ou baron de Gondremarck, le baryton français « qui monte » sait plier à toutes les facéties une voix appelé au plus grand répertoire – il chantait Enrico dans Lucia di Lammermoor il y a peu ; il s’apprête dans quelques jours à redonner vie au rare Saint-François d’Assise de Gounod, aux côtés de Karine Deshayes d’ailleurs. Articulation et beauté de la voix se conjuguent avec un tempérament explosif et un humour contagieux. Qu’il lève le sourcil, qu’il tempête ou qu’il bourdonne, la salle s’esclaffe.
En bis, la reprise du galop infernal voit le public frapper dans ses mains et Olivier Bellamy esquisser un pas de cancan. L’humeur est joyeuse. Les commentaires complices des deux animateurs entre chaque bouquet d’airs, s’ils sont nécessaires aux auditeurs de Radio Classique ou à ceux qui connaissent mal les ouvrages de Jacques Offenbach, ont pu cependant sembler longs aux plus initiés ou à ceux qui, tel Gondremarck, voulaient simplement « s’en fourrer jusque là ».