Cela fait plus de cinquante ans que les Tréteaux Lyriques, fondés en 1968, enchantent les spectateurs par leurs créations biennales, toujours d’œuvres d’Offenbach, ce qui fait d’eux la plus ancienne troupe lyrique d’amateurs toujours active. On avait beaucoup apprécié une exceptionnelle Princesse de Trébizonde en 2009, on a ensuite pu applaudir à Paris Le Pont des soupirs, La Créole, La Vie Parisienne, Le Voyage dans la Lune, La Grande Duchesse de Gerolstein et La Périchole, œuvres données chacune une douzaine de fois.
Ce soir, ce sont Les Brigands qui reviennent (précédente production en 2003). Bien sûr, la troupe a considérablement évolué, pour ne pas dire qu’elle a été entièrement renouvelée au fil du temps, et si les moyens se sont professionnalisés (chef, metteur en scène et encadrement), on reste quand même à distance des superproductions qui ont fait date et relancé l’intérêt pour cette œuvre longtemps oubliée (Genève 1986 dans l’étonnante mise en scène d’Alain Marcel, Lyon 1987 mis en scène par Louis Erlo et Alain Maratrat et dirigée par John Eliot Gardiner, et bien sûr Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff à La Haye en 1992, Paris Bastille en 1993, et ses nombreuses reprises depuis à travers la France). Mais l’œuvre n’est pas simple à monter, faite d’un long premier acte qu’il faut animer, faute de quoi il risque de sombrer dans l’ennui, et deux actes après l’entracte qui foisonnent d’inventions musicales et scéniques.
Yves Coudray, grand connaisseur d’Offenbach, sait manier les troupes, tout en respectant l’œuvre. Ce soir, les carabiniers ont bien tous leurs bottes et arrivent en scène, contrairement au dicton, pile-poil à l’heure. Les groupes de personnages (brigands, Italiens et Espagnols) sont clairement différenciés. Et surtout, les moments de bravoure sont un régal : les entrées des carabiniers, l’arrivée des Espagnols, la cour de Mantoue avec ses problèmes d’argent. Bien sûr, sans que l’on puisse parler véritablement de transposition, les rapports avec l’époque de la création (la fin du Second Empire) et la nôtre ne sont pas éludés, avec une espèce de passage à travers les siècles, que chacun peut interpréter à sa guise. La direction musicale de Laurent Goossaert est, comme à son habitude, parfaitement en phase avec l’œuvre, tant au niveau des tempi que de la dynamique : un entrain qu’il communique avec humour au plateau, qui le lui rend bien. Les chœurs sont fort bien préparés, et font également merveille ; on retiendra notamment le fameux chœur de la fin du Ier acte « Ce sont les bottes, les bottes, les bottes, les bottes des carabiniers », alternant le pianissimo et le forte. On notera également les charmants costumes de Michel Ronvaux, un régal de style et de couleurs.
Les représentations des Tréteaux sont aussi l’occasion de découvrir de jeunes chanteurs professionnels qui viennent parfaire bénévolement leurs contacts avec des professionnels du monde lyrique et le public. Didier Chalu est un Falsacappa épatant. On a l’habitude de l’entendre interprété par des voix plus ténorisantes, mais il a toute l’étendue vocale nécessaire (y compris le falsetto), avec l’autorité physique et vocale ainsi que l’aisance scénique nécessaires au personnage. On note de plus une élocution parfaite, ici pas besoin de surtitres, et cela est valable pour toute la troupe. À ses côtés, la très jolie Fiorella de Delphine Hivernet, dont la voix n’est pas immense, mais très joliment menée, musicale et charmeuse à la fois, plus que véritablement brigande. De son côté, le Fragoletto de Juliette Hua est tout à fait convaincant scéniquement, ne serait un défaut de projection qui empêche sa jolie voix, également très musicale, de passer la rampe, notamment dans le médium.
Mais il y a aussi des morceaux de bravoure où quantité de seconds rôles peuvent briller, comme Jean-Philippe Monnatte qui distille avec art l’air de Gloria-Cassis plein de sous-entendus (« Jadis vous n’aviez qu’une patrie, maintenant vous en aurez deux » avec l’irrésistible ritournelle « Y a des gens qui se disent Espagnols, et qui ne sont pas du tout Espagnols »), Mathieu Fourticq, excellent baron de Campo-Tasso que ne désavoueraient pas nombre de scènes professionnelles, avec son air « nous avons ce matin tous deux… », Jean-Philippe Alosi qui se délecte de l’air fameux du caissier Antonio. On remarque aussi (mais il faudrait en citer beaucoup d’autres !) Myriam Berthieu (la princesse de Grenade) et Katell Martin, son extraordinaire duègne. Enfin, Apolline Bedouet est vraiment drôlissime dans le tout petit rôle de Pipetta, illustré autrefois à l’Opéra Bastille par Yolande Moreau.
Courrez applaudir ces brigands bénévoles bien sympathiques, d’autant qu’au lieu de détrousser les spectateurs, ils reversent tous leurs bénéfices à des associations caritatives (cette année Les Papillons blancs de Paris, La Salle à manger et La Ressourcerie).
Prochaines représentations les 18, 20, 21, 26, 27, 28 janvier et 1er, 3 et 4 février 2024