De la mise en scène de Robert Carsen, si aboutie que l’on ne compte plus les reprises depuis sa création en 2000 ; du prélude situé dans le foyer du Palais Garnier, des actes d’Olympia sur le plateau, d’Antonia dans la fosse et de Giuletta dans la salle ; de la correspondance entre Don Giovanni et Hoffmann ; du dessin d’une carte du tendre allant du fantasme (Olympia) à la fascination (Giulietta), nous ne parlerons pas. Une grève inexpliquée a réduit à quia la dimension scénique de la première représentation des Contes d’Hoffmann cette saison.
Restent les accessoires, les lumières, les costumes et le mouvement. C’est assez pour éviter à la frustration de prendre le pas sur le plaisir. Reste surtout une équipe de chanteurs parmi les meilleurs dans leur catégorie qui, faisant comme si de rien n’était, sauvent la soirée. Benjamin Bernheim en tête. Son Hoffmann lumineux réitère l’exploit de Roméo sur cette même scène il y a quelques mois, en dépit d’airs souvent écourtés – condition nécessaire à la fraîcheur avec laquelle le ténor assume jusqu’à la dernière note une partition dont la longueur est une épreuve. L’exaltation héroïque, le lyrisme éperdu, l’ardeur juvénile, la langueur amoureuse : aucun des visages du poète n’est omis dans une interprétation sanglée par une diction irréprochable, où l’éclat alterne avec la demi-teinte, où le tracé infaillible de la ligne, la franchise de l’émission, la noble beauté du timbre, les multiples composantes d’un chant exemplaire dessinent d’Hoffmann un des portraits les plus accomplis qu’il nous a été donné d’applaudir.
Benjamin Bernheim (Hoffmann) © Emilie Brouchon / Opéra national de Paris
A l’aide de la charrette dont les grévistes ne l’ont pas spoliée, Pretty Yende se taille un franc succès en poupée lubrique. Hérissée de suraigus, Olympia compense par l’étoffe de la colorature une intonation souvent approximative. Dans un français chewingué, Christian Van Horn charbonne Lindorf, grogne Coppelius, ouvre les voyelles, parle certaines phrases au lieu de les chanter afin d’inutilement renforcer leur pouvoir expressif, mais cisèle le diamant de Dapertutto jusqu’au sol dièse et réussit un Miracle inquiétant, mieux articulé, mieux tenu, peut-être parce qu’en face de lui Rachel Willis-Sørensens est un de ces sopranos incendiaires capables d’éperonner leur partenaire et de faire grimper de plusieurs degrés la température d’une salle. Voilà une Antonia au médium solide qui après avoir fait assaut de puissance et dardé des aigus fulgurants se consume en un trille délicat. Même si moins avantagée par la partition, l’acte de Venise étant le moins achevé de l’œuvre, Antoinette Dennefeld ne laisse pas un seul instant douter de la séduction maléfique exercée par Giulietta sur son aréopage de prétendants. Du glamour, du maintien portés par un mezzo-soprano clair à la projection affirmée. Il n’en faut pas davantage pour égarer le cœur d’Hoffmann dans le duo, cingler le septuor et éclipser dans la barcarole la voix d’Angela Brower – Nicklause difficile à comprendre, et à entendre dans les registres inférieurs, malgré une musicalité toute mozartienne.
Angela Brower (Nicklause) © Emilie Brouchon / Opéra national de Paris
S’il est un opéra dont les multiples seconds rôles gagnent à être confiés à des chanteurs français, ce sont assurément Les Contes d’Hoffman. D’une voix toujours saisissante, Sylvie Brunet en mère d’Antonia, Vincent Le Texier en Luther puis Crespel, Christophe Mortagne en Spalanzani le confirment tandis qu’une pointe d’accent italien affaiblit les quatre valets de Leonardo Cortellazzi.
Soixante-quatorzième représentation dans cette mise en scène. Une simple formalité pour le chœur et l’orchestre, l’un et l’autre irréprochables. Eu Sun Kim fait ce soir ses débuts à l’Opéra national de Paris. L’actuelle directrice musicale de l’Opéra de San Francisco, rompue aux salles immenses, se joue de l’acoustique hasardeuse de Bastille. Sa lecture de l’ultime chef d’œuvre d’Offenbach, plus opéra qu’opéra-comique inévitablement, s’avère un modèle d’équilibre entre fosse et plateau, entre rigueur et fantaisie, entre l’attention portée au détail perceptible à travers là un frémissement, ici un ricanement, et la dynamique d’ensemble. L’enthousiasme du public, bien que clairsemé car découragé par les conditions scéniques, apparaît de bon augure pour la suite des représentations.