Le répertoire français confié à des artistes français, tel est un peu le propos de cette production qui connaissait hier soir sa première représentation, dans un festival toujours largement dominé par le répertoire germanique.
Et puisque c’est dans l’air du temps, pourquoi ne pas confier la mise en scène à une femme, Mariame Clément, française elle aussi, même si elle a fait une partie de ses études aux Etats-Unis, puis à Berlin. La bonne idée s’arrête là. Clément a concocté un spectacle certes grandiose par la taille, les moyens déployés, par le nombre de personnages sur la scène, par le nombre de costumes, d’accessoires, mais d’une laideur étonnante, dans une veine kitsch dont on se croyait débarrassé à jamais. Par souci de réalisme, elle fait de Hoffmann, artiste emblématique de tous les arts, figure archétypale par excellence, un réalisateur de cinéma dans les année ’70. C’est une réduction considérable du sens du livret, qui porte – c’est évident – des visées universelles. Le stratagème aurait pu être pertinent, puisqu’il permet de relier les quatre épisodes (quatre films tournés à des période diverses par Hoffmann) en un tout cohérent, symbolisé par les archives qu’il trimbale avec lui dans un caddy de supermarché. Mais a-t-on bien besoin ici de cohérence et de réalisme, quand le livret n’est que rêve, pensées sublimées, introspection, poésie et symboles.
Ce parti pris oblige Hoffmann à être à la fois le protagoniste et l’observateur, dans l’action et en dehors, concept qui ne manque pas d’intérêt, mais difficile à réaliser concrètement.
Mariame Clément nous concocte donc une série de tableaux distincts : relativement neutre et sobre pour l’acte I et pour le V (de loin le plus convaincant), mais sans poésie aucune pour le reste : le tableau le moins réussi est sans doute l’épisode d’Olympia (acte II), dont Clément fait une sorte de majorette du plus mauvais aloi, bimbo de dancing de banlieue à faire fuir tout homme de goût, avec ses paillettes et son bustier lumineux. On rit un peu, mais on se demande bien comment Hoffmann peut tomber amoureux d’une telle caricature, et encore plus comment il peut être dépité de constater in fine qu’elle n’est qu’un automate. Chemises bariolées orange ou à fleurs, pantalons à pattes d’éléphants, désinvolture post 68, veulerie et petites bassesses, est-ce là tout ce qui reste de ces années ?
Dans le tableau suivant, l’acte d’Antonia, on a deux décors juxtaposés qui concernent semble-t-il deux tournages différents, gigantesques dans leurs proportions, mais tout cela génère si peu de poésie, si peu d’émotion. Les rapports ambigus entre le père, le fantôme de la mère et la fille ne semblent pas inspirer la metteur en scène ; le lien entre la voix et la vie (ou la mort) non plus, alors que ces deux éléments sont sans doute les plus intéressants du livret, dans leur dimension psychanalytique avant la lettre.
Et à quoi riment ces décors immenses et probablement fort coûteux de l’acte IV dans lesquels il ne se passe rien, ces structures en bois sur quatre étages, mobiles de surcroît, juste pour déployer un drap qui servira d’écran aux projections vidéo, bien décevantes elles aussi ?
La sobriété retrouvée à l’acte V, à l’heure du bilan devant un simple et modeste mur crépit vient fort à propos tirer la morale de l’histoire et sauver du ridicule la dimension scénique du spectacle.
Dans la fosse non plus, tout n’est pas entièrement satisfaisant (à l’échelle de Salzbourg, s’entend, où l’excellence est la norme). A la tête du Philharmonique de Vienne, c’est-à-dire l’un des meilleurs orchestres européens, Marc Minkowski, qui dirige tout en rondeur et générosité, semble un peu dépassé par l’ampleur de troupes qui ne sont pas habituées à lui, par la distance entre la fosse et le plateau, le volume sonore de l’orchestre et la précision à laquelle ces musiciens s’attendent. Le début de la représentation est marqué par quelques décalages, quelques attaques imprécises qui s’arrangent en cours de route.
Et qu’en est -il sur le plateau ?
La grande vedette de la soirée est incontestablement Benjamin Bernheim dans le rôle-titre. Tout auréolé de sa participation dimanche soir à la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques, le jeune ténor franco-suisse, sur la lancée de sa prise de rôle à Bastille en novembre dernier, livre une prestation éblouissante, digne de tous les éloges. La voix d’une solidité sans faille, très homogène dans tous les registres, une diction parfaite, des nuances et des couleurs tant qu’on en veut, du charme et de l’ardeur juvénile à revendre, le jeune premier fait preuve d’une aisance remarquable et semble terminer la soirée aussi frais qu’il l’a commencée. Très à l’aise à ses côtés, Kate Lindsay qui chante la Muse et Nicklausse, livre elle aussi une prestation remarquable, attachante, avec des qualités musicales évidentes. La soprano américaine Kathryn Lewek, grande voix vibrionnante dans un petit corps plein d’énergie mais diction française moins convaincante, domine les quatre rôles qu’elle cumule sans faiblir, ce qui constitue une performance vocale mais aussi scénique, tant l’écart est grand dans cette mise en scène entre les quatre avatars de l’héroïne.
Christian Van Horn, qui lui aussi tenait déjà les rôles des quatre mauvais à Paris en début de saison, est par comparaison bien en retrait. Diction molle, voix un peu engorgée et qu’il force pour lui donner le volume nécessaire pour emplir l’énorme salle du Grosses Festspielhaus, il déçoit en Lindorf et en Coppélius, mais se rattrape un peu en Docteur Miracle et en Dapertutto à la fin du spectacle.
Marc Mauillon confirme ses talents d’acteur comique mais aussi ses qualités lyriques bien présentes dans le cumul de quatre rôles de caractère un peu ingrats, dont il s’acquitte avec une diction excellente. Mais pourquoi le déguise-t-on en chien dans le dernier tableau, cela reste un grand mystère…
Soulignons encore l’émouvante intervention de Géraldine Chauvet dans la voix de la mère et celle plus sobre de Jérôme Varnier en Crespel et Maître Luther.
Formé à l’opéra studio de Zurich, Michael Laurenz, beau timbre de ténor héroïque, endosse le bref rôle de Spalanzani. Vocalement un peu plus faible dans cette distribution, mais brillant dans le répertoire baroque, Paco Garcia chante le petit rôle de Nathanaël, Yevheniy Kapitula, baryton venu d’Ukraine celui de Wilhelm, et Philippe-Nicolas Martin cumule avec bonheur les rôles d’Hermann et Schlemil. Les chœurs enfin, dont les interventions sont nombreuses et importantes, contribuent pour beaucoup à la réussite du spectacle.
Le public de Salzbourg, bourgeois et conservateur certes, mais connaisseur et exigeant, en particulier les soirs de première, réservera ses huées à la metteur en scène et ses équipes, mais applaudira avec discernement et chaleur le reste de la distribution.