La capitale la plus européenne d’Amérique du Sud met à l’affiche l’opéra-féérie de Jacques Offenbach, avec une distribution exclusivement constituée d’interprètes du continent pour clore sa saison.
C’est aussi un metteur en scène argentin qui signe la production. Pablo Maritano ne déparerait pas pour autant une scène européenne. Son travail se veut une synthèse de la verve comique et des gags qu’un Laurent Pelly pourrait concevoir avec une esthétique qui évoque celle d’un Damiano Michieletto. L’action se voit transposée dans les Trente glorieuses avec costumes et décors d’intérieurs d’appartement délicieusement surannés aux deux premiers actes (les Dieux semblent plus de retour d’une soirée costumée que dans leurs habits d’apparat). Le tout évoque en creux la nuit parisienne – surement pas si éloignée de ce qu’étaient celles de la bourgeoisie portègnes il y a quelques décennies – et sa folie relative. Acteurs et figurants viennent renforcer le jeu des solistes dans un ensemble relevé qui ne souffre d’aucun temps mort.
Dans la fosse, l’Orchestre Titulaire du Teatro Colón s’avère d’un niveau international irréprochable où chaque pupitre brille : les cuivres mats sont d’une précision redoutable, le violon solo particulièrement inspiré etc. Christian Baldini soigne les couleurs et la beauté du son tout du long de l’opéra, parfois peut-être au détriment de tempos plus relevés qui n’auraient pas juré avec la narration frénétique d’Offenbach et de ses librettistes. Le Chœur de l’institution rejoint la même excellence : homogénéité, puissance et aisance scénique tout à la fois.
La distribution s’avère elle aussi d’un excellent niveau et présente l’intérêt de découvrir des interprètes inconnus sur nos rives et issus d’école de formation avec lesquelles le spectateur européen est peu familier. Bien que certains d’entre eux disposent d’un format vocal sous-dimensionné pour l’orchestre, l’acoustique prodigieuse de ce théâtre à l’italienne gigantesque – 2500 places assises et jusqu’à 3000 spectateurs en ajoutant les places debout – permet à chacun de se faire entendre sans mal, y compris dans les tutti. Rocío Arbizu croque un Cupidon loufoque d’un mezzo au grain un rien rugueux tout approprié. Montserrat Maldonado (Diane) et Constanza Díaz Falú (Euridice) rivalisent de pyrotechnie et savent aussi proposer d’élégantes nuances. La première gratifie la salle d’une messa di voce impressionnante lors de son entrée sur l’Olympe. Mairín Rodríguez (Opinion Publique) et Virginia Guevara (Junon) ne manquent aucunement d’abattage scénique et vocal pour rejoindre cet aéropage féminin très en verve. Il n’en fait pas plus défaut coté masculin. Alejandro Spies propose un Jupiter nigaud juste ce qu’il faut et Victor Torres un John Styx empathique. Ce sont nos deux ténors rivaux qui régalent le public. Reinaldo Samaniego, de par l’élégance d’un chant que l’on sent tout à fait mozartien et Andrés Cofré, par l’aisance d’une quinte aiguë où son timbre solaire se déploie. Tous deux l’emportent à l’applaudimètre devant un public qui exulte sur les reprises du galop infernal pendant les saluts.