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OFFENBACH, Orphée aux enfers – Lausanne

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Spectacle
31 décembre 2023
Derrière la bouffonerie, la mélancolie Offenbach

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Jacques Offenbach (1819-1880)
Orphée aux enfers
Opéra-féerie en quatre actes et douze tableaux
Livret de Hector Crémieux et Ludovic Halévy
Première représentation au Théâtre des Bouffes-Parisiens à Paris, le 21 octobre 1858.
Version revue et augmentée créée au Théâtre de la Gaîté à Paris le 7 février 1874

Mise en scène
Olivier Py
Décors & costumes
Pierre-André Weitz
Lumières
Bertrand Killy
Chorégraphie
Ivo Bauchiero
Assistant décors
Mathieu Crescence
Assistant costumes
Nathalie Bègue

Orphée
Samy Camps
Eurydice
Marie Perbost
Aristée/Pluton
Julien Dran
Jupiter
Nicolas Cavallier
L’Opinion publique
Sophie Pondjiclis
Junon
Carole Meyer
Vénus
Béatrice Nani
Cupidon
Yuki Tsurusaki
Diane
Clémentine Bourgoin
Minerve
Emma Delannoy
Mercure
Hoël Troadec
John Styx
Frédéric Longbois
Mars
Aslam Safla

Sinfonietta de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne dirigé par Patrick Marie Aubert
Maîtrise du Conservatoire de Lausanne
Ensemble de violonistes du Conservatoire de Lausanne
Direction musicale
Arie Van Beek

Opéra de Lausanne
28 décembre 2023 19h00

Pour le tableau infernal -gentiment infernal- de cet Orphée aux enfers lausannois, Olivier Py et Pierre-André Weitz se sont inspirés, croyons-nous, de la devanture d’un cabaret parisien disparu, jadis situé sur le boulevard ce Clichy, et qui figurait la gueule gigantesque d’un diable cornu. Ce cabaret s’appelait L’Enfer et on y pénétrait par une bouche énorme qui ressemblait à celle d’un chat.

Maquette pour Orphée aux enfers © Pierre-André Weitz

C’est dire qu’ils ont situé dans une atmosphère de music-hall de la (prétendue) Belle Époque leur mise en scène de l’opéra-féérie d’Offenbach. On est du côté de Montmartre. Un Montmartre aimablement conventionnel, avec jolies femmes en petite tenue, fêtards en gibus, et cancan enlevé. Léger, coloré, bon-enfant, leur spectacle pour période de fêtes fait comme MM. Crémieux, Halévy et Offenbach : il égratigne. Pendant l’ouverture, on verra défiler de cour à jardin une ribambelle sans fin de messieurs en redingote et haut-de-forme feuilletant leur journal, sans doute à la page de la Bourse, mais ce sera bien la seule allusion à quelque critique sociale.

Une mise en scène qui joue, comme le veut le genre, le second degré. Elle pourrait d’ailleurs le jouer davantage. On connaît la face sombre du duo Py-Weitz, illustrée par tant de spectacles en noir majeur gravés dans notre mémoire, notamment une Damnation de Faust et des Contes d’Hoffmann, où le Diable tenait un rôle majeur, mais c’est ici leur face rose, cabaretière.

Encore que… Côté diabolisme, et parce qu’on ne se refait pas, Olivier Py fait défiler en fond de scène un cortège de détails du Jardin des Délices de Jérôme Bosch, démesurément agrandis, en manière de contrepoint grinçant aux galipettes d’Eurydice et Aristée, et on verra quasi constamment danser (très bien) un grimaçant squelette. Car c’est après tout de mort qu’il s’agit, le seul sujet qui vaille comme disait je ne sais plus qui.

© Jean-Guy Python

Quant à leur Olympe du deuxième acte, c’est un théâtre rouge et or, comme un hymne amoureux aux salles à l’italienne, avec galeries aux balustres dorés côté jardin et manteau d’Arlequin non moins emblématique à cour. Aux galeries, se pressent les hauts-de-forme boursicoteurs du début, accompagnés de crinolines d’un jaune doré éclatant. Les déesses, elles, semblent sortir d’un tableau de Winterhalter repeint en majeur et Jupiter a l’aspect d’un Napoléon III plus Badinguet que nature. Les crinolines sont amovibles d’ailleurs. Et les déesses seront aussi délurées en justaucorps que les choristes et les danseuses.

Au troisième acte, un escalier métallique figure la descente à des Enfers que garde le chien Cerbère, en l’occurrence un jeune homme torse nu aboyant joliment derrière son masque -et d’ailleurs les moutons d’Aristée auront été aussi de jolis jeunes hommes un peu déshabillés (et munis d’oreilles en peluche), une manière de signature en somme.

La mort et Samy Camps © Jean-Guy Python

Un adieu (momentané ?) à l’opéra

Est-ce parce que c’est, de son propre aveu, sa dernière mise en scène d’opéra, puisqu’il sera désormais directeur du Châtelet (du moins la dernière pendant un certain temps…), il semble qu’Olivier Py joue avec jubilation la carte du « rouge et or » pour reprendre le titre de Georges Banu. Les décors dansent sans arrêt, tournent sur eux-mêmes, manipulés par une cohorte de machinos en salopettes sous des éclairages (de Bertrand Killy) aux couleurs sans cesse variées. Au dernier acte, celui de la bouche de l’Enfer, on apercevra la scène envahie jusqu’au mur du fond par les éléments des actes précédents, et on verra le manteau d’Arlequin du côté de sa face interne, comme pour célébrer l’artisanat théâtral.
La mise en scène habite l’espace vertical autant que le plateau. Elle fait revenir le souvenir de certaine Lulu d’Alban Berg, où pour la première fois, sauf erreur, Olivier Py mettait de la couleur dans son univers. Et ces petites-femmes-de-Paris, pour lesquelles Paul-André Weitz a dessiné des costumes dans une palette évoquant le Moulin-Rouge de Jean Renoir, on les voyait dans la maison de rendez-vous de sa Manon (déjà un décor mobile et vertical).

Marie Perbost © Jean-Guy Python

Est-ce parce qu’il y a chez Offenbach une mélancolie profonde que la folie ne semble qu’intermittente dans la lecture d’Olivier Py, une mélancolie à l’image de celle de John Styx, roi déchu au rang de factotum et qui noie son chagrin dans l’ivresse. Frédéric Longbois chante avec émotion la romance « Quand j’étais roi de Béotie » où il dit sa nostalgie de sa passion amoureuse enfuie. Et le thème du roi de Béotie traverse déjà une ouverture qui, dans la version de 1874 donnée ici, plus riche musicalement que la version de 1858, prend la forme d’un pastiche de prélude d’un grand opéra. Arie van Beek en conduit savamment le crescendo, depuis un incipit très retenu, prétexte à une manière de menuet jusqu’au galop final, à ses grands renforts de cuivre. Sous sa baguette, le Sinfonietta de Lausanne, très précis et coloré, met en valeur le piqué d’une orchestration verveuse et ironique.

Amours asynchrones

Orphée aime Eurydice qui aime Aristée qui ne l’aime pas et la trompe. Tout cela n’est pas drôle. Mais la gaieté apparente de la musique déguise la vérité des sentiments.  Eurydice, c’est ici Marie Perbost, amoureuse de son « berger joli » (mais « N’en dites rien à mon mari »). Timbre lumineux et pulpeuse apparition (en duo avec une flûte comme chez Donizetti). Sa voix, ce soir-là, nous sembla gagner en plénitude à mesure qu’on avançait dans l’opéra. Elle sera à son meilleur dans les « Regrets » de l’acte des Enfers et tout-à-fait rayonnante quand Jupiter l’aura métamorphosée en Bacchante.
Mais elle glisse déjà de belles notes hautes (et un rire irrésistible) dès son duo d’entrée avec son Orphée, chanté par l’emphase pathétique qu’il faut par Samy Camps, en marcel et pantalon de cuir, tous tatouages dehors et mèche peroxydée. Cet Orphée est un violoniste à la David Garrett. Il a composé un concerto qu’Eurydice, cette cruche, déteste. Alors que la mélodie en est ravissante (jouée ici par le concertmeister du Sinfonietta Félix Froschhammer).

Julien Dran en Aristée © Jean-Guy Python

Un texte à dire

On nous permettra ici de ronchonner quelque peu : comme dans le grand opéra français, la diction est essentielle et, si le livret de Crémieux et Halévy n’a peut-être pas les ambitions de celui de Pelléas, il en a d’autres. On aimerait que tous les chanteurs ici soient aussi fins diseurs que l’est Julien Dran, qui dessine un très caustique Aristée-Pluton. Non seulement le timbre est beau, voix de ténor très chaude, mais le personnage est pile dans le ton Offenbach : ce second degré, ce sérieux déguisé, cette cruauté cachée sous le sarcasme, esprit d’époque qu’on retrouve chez Feydeau comme chez Lautrec.

Une cruauté qu’on entend dans l’invocation d’Eurydice (« La mort m’apparait souriante, qui vient me frapper près de toi… ») -et Marie Perbost phrase très joliment cette parodie de Gounod. Et une ironie qu’on retrouve dans le final faussement grandiose que mène l’Opinion publique (Sophie Pondjiclis, emphatique à souhait) ou dans les adieux d’Orphée à ses élèves, ici une touchante phalange de très jeunes violonistes du Conservatoire, jouant tant mal que mal (effet voulu) leur valse d’adieu, avant la tyrolienne non moins gentille du chœur d’enfants dudit.

Nicolas Cavallier (Jupiter) et Julian Dran (Pluton) © Jean-Guy Python

Du rififi sur l’Olympe

Drolatique entrée des Dieux, tous de retour d’un « petit voyage à Cythère », sur fond de chœur « du sommeil » par l’excellent Chœur de l’Opéra de Lausanne, ici sotto voce, mais qu’on verra bientôt chanter-danser et lever la jambe avec fougue.
Non moins dans le ton, le Jupiter tonitruant (ça s’impose) de Nicolas Cavallier (entré sur un appel de cors à la Weber), diction considérable, silhouette grandiose, tentant tel Wotan de tenir son empyrée turbulent.
Si les Dieux et Déeeses n’ont peut-être pas la diction qu’on souhaiterait, ils et elles dessinent des silhouettes cocasses, ainsi la Vénus tout de rouge vêtue de Béatrice Nani et le Cupidon touchant de Yuki Tsurusaki. Mention particulière au Mars rentrant « d’chez sa particulière » d’Aslam Safla, en slip panthère et le pantalon tombant sur les chaussures, à la Diane de Clémentine Bourgoin à la recherche de son Actéon (« Tonton tontaine tonton ») que Jupiter aura changé en cerf (autre apparition animalière et torse nu) et au Mercure d’Hoël Troadec (rondo gaillardement enlevé sur un texte pas commode).
À nouveau excellent, Julien Dran dans l’air en prose de Pluton, dont il distille avec gourmandise le texte caustique (« Ici l’on respire une odeur de déesse et de nymphe »).

Aslam Safla (Mars) © Jean-Guy Python

Burlesques encore le chœur de la révolte (« Plus de nectar ! plus d’ambroisie ! ») avec Marseillaise détournée et pasionaria à la Delacroix, puis le rondeau des métamorphoses, un peu claudicant côté solistes, et la citation de l’Orphée de Gluck (où Samy Camps peut sortir ses plus belles notes) avant un départ des Dieux pour « ce sémillant enfer » (« Plus de nectar, plus de ciel bleu ! »), un galop trépidant et irrésistible, dans un accelerando impeccablement tenu par Arie van Beek.

Le sémillant enfer

Un Arie van Beek qui mène à un train d’enfer (forcément) le bref prélude de la deuxième partie, avant d’accompagner joliment le « Je vais regretter mon mari » d’Eurydice.
Toute la fin prendra l’allure d’un divertissement enlevé, le brio dissimulant le décousu du livret. Crémieux et Halévy, on le sent, se débrouillent pour répondre aux désirs d’Offenbach. Ils lui confectionnent le personnage de John Styx pour le plaisir des couplets nostalgiques évoqués au début, ils écrivent pour Cupidon les couplets des baisers (Yuki Tsurusaki à son aise surtout dans les aigues) qui amènent l’un des morceaux de bravoure de la partition, le duo de la mouche.

Réjouissant numéro de Nicolas Cavallier voletant suspendu dans les airs, poursuivant de ses bourdonnements une Marie Perbost envoyant avec esprit les vocalises d’une Eurydice conquise par « Ernest, baron de Jupiter ». Là encore, la parodie devient grinçante, puisqu’aussi bien c’est le duo d’amour indispensable dans tout opéra, culminant ici dans des « Zi… » dérisoires.

Nicolas Cavallier (Jupiter) © Jean-Guy Python

À remarquer absolument, la brillante chorégraphie d’Ivo Bauchiero (par ailleurs assistant à la mise en scène à laquelle on imagine qu’il a contribué). Ses dix danseurs et danseuses semblent se démultiplier dans une Bacchanale débridée. Costumes particulièrement succincts pour les danseuses. Énergie débordante, émouvante…

Dans les loges dorées, les fêtards s’encanaillent et se déboutonnent. L’humeur est à la fête et le chœur chante « Si l’on comprend la vie, amis, c’est un enfer ! ». Toujours l’humeur grinçante…

Dans un nouvel avatar, Eurydice, changée par Jupiter en Bacchante, et désormais en justaucorps, peut chanter « J’ai vu le Dieu Bacchus », moment où Marie Perbost nous semblera au meilleur de sa voix, avec de beaux phrasés et toujours l’aisance de ses notes hautes.

Le galop presque final sera évidemment aussi virtuose qu’on peut l’attendre, mené sur un tempo archi-rapide par Arie von Beek. Au premier plan les danseurs et leurs grands écarts, les garçons comme les filles, et sur la scène au second plan le galop des dieux et déesses, moins athlétique certes mais joyeusement endiablé.

Marie Perbost en Bacchante, sur l’escalier Samy Camps et Sophie Pondjiclis © Jean-Guy Python

Restera l’ultime tableau. Pour l’encadrer, descendra des cintres l’image de la bouche diabolique qu’on a décrite, derrière laquelle on glissera un escalier rouge. « Je vais élever le dialogue avec la situation », dira pompeusement Orphée réapparu (les librettistes l’avaient oublié, celui-là). « Femme, reconnais-tu ce chant de violon (ici Gluck montant de la fosse), c’est ton époux qui vient pour racheter ton âme, cette âme que j’aimais et que je n’aime plus… » Sic.

« Ne regarde pas en arrière », chantera l’Opinion publique… On connaît la suite, le « mouvement involontaire » d’Orphée et Eurydice décidant de rester aux Enfers, où décidément on s’amuse davantage. « Ce n’est pas dans la mythologie » proteste Pluton, « Nous réécrirons la mythologie » . Ultime galop !

C’est beau comme le spectacle…

C’est le moment où celui qui se permet de jouer les critiques (de quel droit, d’ailleurs ?) ravale ses ronchonnements et ses finasseries. Tous ces talents sur scène, qui se pressent et saluent, la somme de ces énergies, ce public enchanté… C’est beau comme le spectacle…

On a envie de citer les lignes de Colette dans « L’envers du music-hall » : « Les forces mystérieuses de la discipline, du rythme musical, l’orgueil enfantin et noble de paraître beaux, de paraître forts, nous soulèvent, nous conduisent… Le public, prostré, ne verra rien de ce qu’il doit ignorer : le halètement rapide qui dessèche nos poumons, l’eau qui nous inonde et noircit la soie de nos costumes… Le rideau tombé, nous nous séparons vite, nous nous hâtons vers la rue, vers l’illusion de la fraîcheur que verse une lune haute, épanouie, chaude et dédorée… »

© Jean-Guy Python

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Jacques Offenbach (1819-1880)
Orphée aux enfers
Opéra-féerie en quatre actes et douze tableaux
Livret de Hector Crémieux et Ludovic Halévy
Première représentation au Théâtre des Bouffes-Parisiens à Paris, le 21 octobre 1858.
Version revue et augmentée créée au Théâtre de la Gaîté à Paris le 7 février 1874

Mise en scène
Olivier Py
Décors & costumes
Pierre-André Weitz
Lumières
Bertrand Killy
Chorégraphie
Ivo Bauchiero
Assistant décors
Mathieu Crescence
Assistant costumes
Nathalie Bègue

Orphée
Samy Camps
Eurydice
Marie Perbost
Aristée/Pluton
Julien Dran
Jupiter
Nicolas Cavallier
L’Opinion publique
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Junon
Carole Meyer
Vénus
Béatrice Nani
Cupidon
Yuki Tsurusaki
Diane
Clémentine Bourgoin
Minerve
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Mercure
Hoël Troadec
John Styx
Frédéric Longbois
Mars
Aslam Safla

Sinfonietta de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne dirigé par Patrick Marie Aubert
Maîtrise du Conservatoire de Lausanne
Ensemble de violonistes du Conservatoire de Lausanne
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Arie Van Beek

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28 décembre 2023 19h00

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