En 1873, Offenbach devenu directeur du Théâtre de La Gaité, tente de redorer un blason – injustement – terni par la défaite française de 1870. Cette entreprise de réhabilitation passe par l’adaptation de ses anciennes partitions à un format féerique, avec force ballets, décors, figurants et autres débauches scéniques. C’est ainsi qu’Orphée aux Enfers, d’opéra-bouffon à deux actes en 1858, se métamorphose seize ans plus tard en fantaisie à grand spectacle en quatre actes et douze tableaux.
Bien qu’empesée par cet assaut de décorum, cette nouvelle version s’avère la mieux adaptée à une scène nationale d’opéra, le défi étant de ne pas diluer l’impertinence originelle dans une surenchère de moyens. Tel est le piège qu’à Toulouse après Lausanne n’évite pas tout à fait Olivier Py, très attendu dans cet univers comique qu’il a peu abordé mais dont Les Mamelles de Tiresias au TCE en 2023 laissait augurer le meilleur.
Timidité face à un chef-d’œuvre de loufoquerie et de dérision ? L’imagination fait défaut à une mise en scène encombrée par des blocs de décors monumentaux que l’on tourne et retourne à longueur de spectacle pour composer les différents lieux de l’action à la manière d’un lego géant, les plus aboutis étant la représentation de l’Olympe et de l’Enfer sous forme d’un théâtre à l’Italienne. Rien de nouveau dans le monde de Py qui affectionne ce type de dispositif modulaire à plusieurs étages. L’omniprésence de la mort sous forme d’un squelette est un autre leitmotiv scénique au sein d’une approche qui a le bon goût d’éviter toute vulgarité. La dimension satirique de l’œuvre est suggérée par les costumes second-empire et le personnage de Jupiter grimé en Napoléon III – conformément aux intentions d’Offenbach et de ses librettistes.
La version retenue est donc celle de 1874 allégée de quelques numéros – le chœur des bergers, la scène du conseil municipal, la chanson de Morphée, le septuor du tribunal, la petite ronde du bourdon… – mais avec la quasi intégralité des ballets, malheureusement a-t-on envie d’ajouter tant ils nuisent à la continuité dramatique de la pièce et tant l’inventivité fait défaut à la chorégraphie d’Ivo Bauchiero. Comme souvent, les quelques libertés prises avec le texte sont une mauvaise idée. Avoir déplacé la découverte d’Eurydice en bacchante avant le galop infernal rend ce dernier incongru.
© Mirco Magliocca
Ces réserves exposées, on aurait tort de bouder notre plaisir – et celui du public dont rires et applaudissements ponctuent la représentation. Faut-il préciser que l’arrivée de Jupiter en bourdon dans la cellule d’Eurydice fait particulièrement mouche !
Marie Perbost s’y montre sous son meilleur jour après avoir donné quelques signes de fatigue – légitimes à l’issue de la dernière représentation de la série. Certaines stridences, une diction parfois confuse sont péchés véniels au regard de l’abattage dont fait preuve la soprano désormais abonnée aux premiers rôles féminins offenbachiens – elle était Fiorella dans Les Brigands à Garnier en début de saison, rôle qu’elle reprendra en juin prochain.
Autour d’elle, c’est une joyeuse équipe d’artistes dont l’art du chant n’entrave jamais la fantaisie – le risque lorsqu’on confie ce type d’ouvrage à des chanteurs d’opéra. Cyrille Dubois et Mathias Vidal gagneraient même à tempérer leurs ardeurs scéniques. Mais quelle jubilation d’écouter cet Orphée peroxydé et cet Aristée survolté user des notes pour se jouer des mots. Tout autant intelligible, Marc Scoffoni est un Jupiter moins exubérant, ce qui rend paradoxalement le personnage plus amusant. La clarté de son baryton participe à l’image d’un dieu libertin et jouisseur, à l’opposé des pères nobles que l’on distribue parfois dans le rôle.
Aucun bémol également parmi la ribambelle de personnages secondaires dont on regrette juste que la partition ne soit pas plus développée : Adriana Bignani Lesca, Opinion publique douée d’une vis comica à laquelle les écarts de registre ne sont pas étrangers ; Marie-Laure Garnier, Vénus d’une sensualité indécente, somptueuse de ligne et de timbre ; Anaïs Constans, Diane rayonnante aux (sur)aigus éblouissants ; Julie Goussot, Cupidon gourmand dans un air des baisers bien envoyé ; Enguerrand de Hys, Mercure bondissant le temps d’une saltarelle tourbillonnante…
Sous la baguette disciplinée de Chloé Dufresne, l’Orchestre national du Capitole se régale de ce répertoire français auquel il est historiquement attaché (dirigé par Michel Plasson en 1978, il a participé à l’un des enregistrements de référence d’Orphée aux Enfers).
Dans un ouvrage qui ne le néglige pas, le Chœur enfin est un autre élément de satisfaction. D’une emphase démesurée, les « Anathèmes » brandis comme une menace au premier acte ou la bacchanale du quatrième acte sont des purs moments de jouissance comique et sonore. Comme à Bordeaux lors de la première de Norma, la lecture d’une déclaration et l’interprétation sur scène de « Va pensiero » avant le lever de rideau se veulent une marque de soutien et un cri d’alarme face à l’annonce récente du licenciement des artistes du chœur de l’opéra de Toulon. Au contraire de Bordeaux cependant – et de la plupart des opéras en France –, Toulouse propose encore une vraie saison lyrique. Souhaitons que la peau de chagrin budgétaire continue de l’épargner.