La lumière de l’Italie en plein décembre… voilà exactement de quoi nous tenter par ce froid dimanche. Avec ce Turc en Italie, le tout jeune Rossini, ne connut pas la postérité de l’Italienne à Alger écrite un an plus tôt. L’opéra de Nantes a la bonne idée de mettre cette oeuvre rare au programme des fêtes de fin d’année, pour un bien joli résultat. Aucune prétention au réalisme dans cette classique histoire d’imbroglio amoureux mais de la légèreté, de la sensibilité dans la direction musicale tout comme dans la mise en scène.
Sélim, riche turc globe-trotteur, vit des amours indécises ; il oscille entre la fidèle Zaina et la volage Fiorilla rencontrée lors d’une halte à Naples. C’est le jeune Nahuel di Pierro qui prête le velours de son timbre de basse au personnage. Doté d’une voix flexible aux harmonies très riches, cet habitué de l’opéra de Bordeaux, issu de l’atelier lyrique de l’Opéra de Paris est parfait en grand seigneur égocentrique et séducteur. Cynique, il propose de racheter Fiorilla à son mari, car, après six ans de mariage, il en est sans doute un peu fatigué (sic). Cette proposition donne lieu a un duo virtuose dans lequel le mari comme l’amant font merveille.
L’époux trompé est incarné par un Franck Leguerinel visiblement heureux de retrouver sa ville natale. Il déploie une énergie communicative pour récupérer sa volage épouse et emporte l’adhésion du public par une bouffonnerie assumée.Toutefois, la justesse approximative de ses graves compromet certains passages délicats dont le somptueux ensemble a capella du second acte, ce qui est bien dommage. Le barbon qu’il interprète devient chef de gare dans cette version nantaise, et il est délicieux de le voir s’agiter en tout sens en essayant vainement d’avoir prise sur les évènements.
Rien de ferroviaire naturellement dans la partition originale. C’est au metteur en scène Lee Blakeley que l’on doit cette transposition qui nous projette dans les années 20. Il file la métaphore ferroviaire tout au long de la soirée et utilise brillamment tous les accessoires à sa disposition pour offrir au spectateur des décalages drôles et complices.
Lee Blakeley dispose d’un alter-ego sur scène, le poète Prodoscimo, en quête d’un sujet pour sa prochaine création, et qui ici se fait cinéaste. Il commente l’action, l’oriente parfois vers de nouveaux rebondissements. Ce jeu de mise en abyme, de théâtre dans le théâtre, est toujours efficace et l’on rit d’entendre Nigel Smith s’écrier devant une péripétie particulièrement improbable « c’est théâtral, mais ça manque de naturel ». Le baryton canadien ne boude pas son plaisir et, très à l’aise vocalement, fait le pitre avec autant de talent que de délectation.
Il partage avec l’ensemble du plateau vocal un engagement scénique sans faille au service d’une direction d’acteurs millimétrée. Chaque personnage est dessiné avec précision, et la mise en scène multiplie les commentaires visuels qui éclairent les caractères, justifient les arias – voire les vocalises – avec une remarquable intelligence. Don Narciso, amant éconduit de Fiorilla, interprète par exemple son solo comme s’il passait une audition pour jouer dans le film en cours d’écriture. Il aspire aux feux de la rampe comme à ceux de la passion, mais n’obtiendra ni l’un ni l’autre. Avec ce rôle, l’américain David Portillo, épatant ténor rossinien aux aigus ductiles et au médium moelleux, fait de remarquables débuts en France.
Dans les scènes de chamailleries les deux rivales féminines sont impeccables et leur crêpage de chignon est chorégraphié avec le même brio que la superbe scène de fête du second acte. Rebecca Nelsen y irradie de charme et d’énergie ; sa voix souple, percutante de soprano léger est également bien timbrée dans les graves et assume sans aucune difficulté les chausse-trappes des airs de bravoure de Fiorilla. Quelle jolie idée que d’en faire une Louise Brooks de pacotille ! Face à elle, Giuseppina Bridelli campe une amoureuse à la voix cuivrée, qui sait se faire suave au besoin. On lui reprochera toutefois un sur jeu inutile en début de soirée qui fait perdre de sa crédibilité à Zaida.
Son ombre fidèle, Albazar, est interprétée par Manuel Nunez Camelino qui n’a que peu à chanter et que l’on aura plaisir à voir grimé en Arnalta sur la scène de l’Opéra de Paris où il donnera sans doute la pleine mesure de son talent.
Face à un plateau survolté, Giuseppe Grazioli dirige l’Orchestre national des Pays de la Loire avec la juste énergie, la dynamique indispensable, tout en s’attachant à conserver un legato élégant et quelques tempi dont la relative lenteur surprend d’abord l’auditeur avant de le ravir car elle laisse affleurer la poésie de la partition. L’entente entre les directions scéniques et musicale est visible dans la complémentarité entre gags visuels et humour musical. Le rire d’ailleurs cède parfois le pas au sourire lorsque le second degré nait délicatement des couleurs ou des nuances d’une réplique.
Lee Blakeley nous avait époustouflé la saison dernière avec Sunday in the Park with George, il nous réjouit ici et la perspective de le retrouver à deux reprises au Châtelet l’an prochain a de quoi ravir.