Voilà un concert qu’il ne fallait surtout pas quitter à l’entracte. Non pas que la première ait démérité mais c’est bien la seconde partie, très copieuse, avec des bis généreux, qui aura donné toute sa saveur à cette soirée.
On ne savait pas Olga Peretyatko kamikaze : elle fait son « coming out » en osant un « Casta diva » (suivi de sa cabalette) pour se chauffer. Si la voix bouge un peu (le vibrato s’effacera ensuite), les volutes de la prêtresse révèlent la séduction immédiate du timbre, pulpeux et caressant. La voix a aujourd’hui gagné du corps et en particulier un medium plus nourri. Cet épanouissement de la voix n’est pas sans conséquence sur le registre suraigu, moins souverain qu’hier (et parfois un peu bas) mais n’a en rien entamé une technique belcantiste éprouvée, la soprane usant notamment généreusement du trille ou de la messa di voce. On sent surtout l’affinité de la soprano russe avec le répertoire du belcanto romantique par l’élégance des lignes et l’originalité des variations, en particulier dans « Oh luce di quest’anima », extrait de Linda di Chamounix.
La chanteuse est par ailleurs rodée à l’exercice du concert et sait mettre le public dans sa poche : certaines attitudes pourront sembler théâtrales (très callasiennes pour tout dire dans « Casta diva ») mais la diva sait animer les personnages, tout en gardant un glamour assumé.
Olga Peretyatko © Dario Acosta
Benjamin Bernheim semble plus emprunté dans cet exercice. Son ténor clair et franc, puissamment projeté et une diction très naturelle dans le répertoire français ressortent immédiatement dès son premier air, « Ah ! lève-toi soleil ». Ces atouts sont cependant en partie gâchés en première partie par une émission un peu dure et claironnante, le chanteur semblant se réfugier dans un chant constamment forte ; dans ces conditions, « Una furtiva lagrima » manque trop de demi-teintes pour totalement séduire. Est-ce dû au stress ou à un répertoire peu adapté à sa voix actuelle ? Le duo de l’Elisir d’amore donné en bis nous fera fermement pencher pour la première explication.
Il faut attendre l’entracte pour trouver le ténor plus à son aise. On ne l’attendait pas dans l’air de Rodolfo, « Oh fede negar… Quando le sere al placido », extrait de Luisa Miller, habituellement au répertoire de ténors plus héroïques : il emporte pourtant l’adhésion par l’intensité de son chant. Un Alfredo tendre, osant enfin la voix mixte, et surtout un duc d’une aisance parfaite viennent confirmer cette impression.
Si Olga Peretyatko charme dans son Boléro virtuose et une Violetta Valery intériorisée, chantée sur le fil de la voix, c’est bien dans les derniers duos que le spectacle prend tout à fait son envol, la complicité des chanteurs semblant enfin se révéler. On aimerait entendre plus avant le couple qu’ils forment dans Rigoletto : il sait se faire caressant, enjôleur, elle nous fait croire à sa passion.
On pensait en avoir fini avec les bis après une Vilanelle, tube des sopranos légères, qui prouve s’il était nécessaire que la dame a de la virtuosité à revendre et un Werther à la diction superlative. Que nenni, les comparses nous réservaient une belle surprise avec une scène complète de L’elisir d’amore. Non seulement les deux chanteurs rivalisent de charme vocal, mais ils n’hésitent pas à jouer, lui en benêt sirotant une mignonette de vin, elle en pimbêche irrésistible.
Le chef Giampaolo Bisanti, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris – dont les musiciens ont l’occasion de briller individuellement (basson pour l’introduction d’« Una furtiva lagrima » ou flûte dans l’introduction de « Casta diva ») – n’est pas étranger à cette euphorie de fin de concert. Sa direction ne manque pas de dynamisme, même si les ouvertures privilégient un peu trop le volume sonore au détriment de la clarté orchestrale (peu aidée il est vrai pas l’acoustique très réverbérée de la salle). On lui reconnaitra surtout une attention constante à ses chanteurs, n’hésitant pas à user (voire abuser) du rubato pour les soutenir et les mettre en confiance.