En 2003, le chef d’orchestre américain David Stern fondait à Paris une compagnie lyrique sur instruments d’époque avec pour objectif la formation des jeunes chanteurs. Deux décennies et cinq générations de solistes plus tard, Opera Fuoco compte parmi ses rangs quelques-unes de nos plus grandes voix. Qu’est-ce qu’on attend pour faire la fête ?
Avec le Théâtre des Champs-Elysées comme gâteau d’anniversaire, une soirée de gala invite certains de ces artistes à souffler les vingt bougies. Le programme, généreux, balaye plus d’un siècle de répertoire, de l’aurore baroque aux derniers feux du romantisme. Las, il est des soirées où rien ne se passe comme on le voudrait. Victimes du refroidissement soudain des températures, Adèle Charvet et Vannina Santoni ont jeté l’éponge. Dans l’ouverture de la rare Arianna de Marcello, qui amorce les festivités, cors et trompettes sont également enroués, et c’est l’orchestre entier qui tousse.
Il faut pour dégripper la salle l’ardeur d’Axelle Fanyo, dont les couleurs ambrées laissent planer le doute sur la tessiture – mezzo ou soprano ? – avant que l’éclat fulgurant de l’aigu n’apporte la réponse. Les vocalises d’Oralia dans Orpheus de Telemann sont crânement affrontées – car cette voix que l’on pourrait penser lourde au premier abord a de la souplesse à revendre –, tout comme plus tard les registres de « Come scoglio » sont aisément enjambés. Mais est-ce vraiment Fiordiligi cherchant à dissimuler sous des airs bravaches la fragilité de ses sentiments, ou une reine outragée qui livre un terrible combat ? L’expression s’immole sur l’autel de la performance vocale. Là se trouve la limite de l’exercice – limite qui s’étend à l’ensemble de ses partenaires, ou presque. La succession des numéros n’aide pas à la caractérisation.
Privée d’intentions dramatiques, « Che fai, », la grande scène de Berenice chantée par Natalie Pérez paraît encore plus longue qu’elle ne l’est. « Qui la voce », initialement dévolu à Vannina Santoni, repéché par la jeune soprano ukrainienne Iryna Kyshliaruk, inévitablement intimidée, se transmute en rengaine lorsqu’il n’est pas habité d’un feu sacré – et d’une science du chant qui sache en renouveler les effets. Que vaut « V’adoro pupille », même tracé d’une ligne appliquée par Chantal Santon-Jeffery, s’il n’est paré des atours de la séduction – et d’un trille digne de ce nom ? En deuxième partie, la romance de Zelinska voudrait plus d’italianité pour faire valoir sa parenté avec « una volta c’era un re » de la Cenerentola rossienne – qui lui est postérieure d’une dizaine d’années. Ténor à la prononciation française irréprochable, dans la droite ligne de ses illustres aînés, Benjamin Bernheim, Roberto Alagna – et au-delà Georges Thill –, Léo Vermot-Desroches doit encore adoucir son aigu pour que le soleil se lève radieux dans la romance de Roméo. Et que dire des jeunes chanteurs d’Opera Fuoco, dont le nom n’est pas cité dans le programme, astreint à un périlleux jeu de relais dans un finale des Noces encore hors de portée, auquel l’arrivée impromptue de Laurent Naouri apporte une insuffisante fantaisie.
Restent en dépit de légers défauts d’intonation « D’Oreste et d’Aiace » drapé dans une soie moirée, dardé d’aigus lumineux par Cyrielle Ndjiki Nya, et chacune des interventions de Karine Deshayes, marraine de la soirée, dont rien ne semble pouvoir venir à bout de la technique et de l’engagement, ni l’agitation haletante de « Dopo notte » ajouté in extremis à son programme en remplacement d’Adèle Charvet, ni la détermination de Rosine, ni la fougue du Roméo bellinien. Virtuosité et musicalité ne sont pas étalées comme à la parade mais placées chaque fois au service des personnages et situations interprétés. Un exemple à suivre pour les chanteurs des générations présentes et futures d’Opera Fuoco et d’ailleurs.