Operetten-Gala : avec un intitulé et une poignée de stars, le succès était garanti d’avance pour le Festspielhaus de Baden-Baden. En effet, l’opérette appartient à la mémoire collective de l’Allemagne. Le théâtre est plein. Question de génération, cela concerne essentiellement un public pas très jeune si l’on regarde autour de soi mais la relève se profile. Dans les couloirs durant la pause, on a croisé une poussette !
Ce gala autour de l’opérette est centré sur Vienne. La première satisfaction du jour réside dans la qualité de l’orchestre ; la Philharmonie de Baden-Baden excelle dans le répertoire à tel point que l’on se croirait sur les rives de la Donau. Le chef Pavel Baleff n’a aucun mal à tirer le meilleur de la formation visiblement à son aise. Ainsi dirigé, on apprécie mieux les subtilités de ce répertoire faussement léger, avec mention spéciale pour les cuivres, la harpe et le premier violon. Cela dit, curieusement, le programme annonçait un Wiener Blut qui n’a jamais été donné. On s’en console, car pour la partie chantée, la succession des numéros est respectée à la lettre. Les apparitions d’Annette Dasch sont prétextes à un joli défilé de mode : cinq robes au total ! La soprano berlinoise a d’ailleurs – honneur aux dames – initié le bal avec Das Land des Lächelns, créé dans sa ville natale en 1929 (amusant clin d’œil, alors que la version initiale du Pays du sourire, donnée à Vienne en 1923, portait le titre moins évocateur de Die gelbe Jacke, la veste jaune). Le sourire est l’un des atouts principaux de la chanteuse. Elle ne s’en départ pas un seul instant. Mais son « Ich danke für die Huldigung » est prononcé très indistinctement et les aigus sont bien durs. La puisance de la projection ne saurait rattraper un je-ne-sais-quoi de solaire et de radieux absent de son interprétation.
© manolopress_Michael Bode
Place ensuite à Piotr Beczala, que l’on avait déjà eu le plaisir d’entendre ici-même dans un récital analogue en hommage à Richard Tauber. D’entrée de jeu, le ténor polonais entonne l’inusable « Freunde, das Leben ist lebenswert » de Giuditta que d’aucuns, dans le public, ne peuvent s’empêcher de murmurer avec lui. Heureusement, les sourdines se taisent car Piotr Beczala, mine de rien, est en train de déployer toute sa science musicale. Avec simplicité et brio, il offre un merveilleux nuancier de sentiments. La prononciation est impeccable et son « das Leben ist schön, so schön » (la vie est belle, si belle) vaut tous les Feel good movies. Non seulement, le moral est au beau fixe, mais le public est mis sur orbite et le restera.
Des acclamations dignes d’un stade accueillent Thomas Hampson, beau comme un dieu et du dernier chic. Le baryton américain prononce l’allemand à s’y méprendre et orne son « Komm, Zigany » d’un accent tsigane gouailleur qui habille avantageusement une voix plus feutrée et fatiguée qu’à l’ordinaire. Mais quel métier et surtout, quelle prestation scénique ! Le chanteur se fait, avec un naturel confondant, acteur, ce qu’on avait déjà pu apprécier lors d’un récital donné ici même avec son gendre. Chacune de ses apparitions le voit changer de style. Annette Dasch lui donne avantageusement la réplique dans « Dieser Anstand, so manierlich » où les époux de Die Fledermaus se livrent à un croustillant jeu de dupes. Piotr Beczala se montre valseur émérite. Les numéros s’égrènent sans qu’on s’ennuie un instant. Le gala s’achève avec un « Lippen schweigen » susurré à trois voix. Un régal…