Ecrite à l’occasion du Carême en 1708, à l’instar de La Resurrezione de Haendel jouée quelques jours plus tard, La Colpa, il Pentimento, la Grazia d’Alessandro Scarlatti s’inscrivait dans un ambitieux cycle de huit oratorios commandés par le cardinal Ottoboni aux meilleurs musiciens alors actifs à Rome. Le prélat en avait très vraisemblablement élaboré le texte, qui comprenait une paraphrase libre des Lamentations de Jérémie, et en signa également la mise en scène lors de la création au Palais de la Chancellerie la veille du Mercredi Saint.
Moins théâtrale et colorée que celle du jeune Saxon, la partition destinée à trois solistes (deux sopranos, un contralto) ne dédaigne pas le spectaculaire, comme en témoigne l’impressionnante aria de la Faute « Trombe che d’ogni intorno » évoquant le Jour du Jugement dernier, cependant, on demeure surtout frappé par l’intense expressivité de ses accompagnati et ariosi ainsi que par l’habileté avec laquelle Scarlatti exploite un riche effectif instrumental, placé à l’époque sous la direction de Corelli, où trompettes, trombones et timbales se joignent aux cordes et à la basse continue. Cet oratorio de la Passion encore largement méconnu méritait d’être donné dans son intégralité et on ne s’explique pas la suppression de deux numéros (un air et un duetto) totalisant moins de six minutes de musique, sauf à croire que les organisateurs voulaient à tout prix que la soirée tienne dans un format de deux heures, entracte compris…
Outre les inconditionnels de Philippe Jaroussky et Sonia Prina, stars dont le seul nom a dû remplir une part non négligeable de la Salle Henry Le Bœuf, certains spectateurs se sont probablement aussi levés à l’issue du concert pour exprimer leur enthousiasme après une double découverte : celle de l’œuvre, d’abord, puis celle de Valer Sabadus. Contrairement à ce qu’annonce le programme de salle, c’est lui et non Philippe Jaroussky qui incarne la Grâce, une figure enjouée dont il exalte la vivacité, prodiguant des aigus pleins ou suspendus, mais toujours sonores et lumineux. La pulpe de son timbre revêt la fraicheur d’une oasis face à l’organe asséché de Sonia Prina (Le Repentir), du reste plus court de projection que jamais – elle porte plusieurs fois la main à ses sinus avant de chanter, ce qui donne à penser qu’elle est légèrement indisposée ou convalescente. L’art, en revanche, et l’aplomb demeurent admirables, nous nous prenons d’ailleurs à rêver d’une acoustique plus propice pour savourer le luxe de demi-teintes et les ciselures infimes qu’elle déploie dans des récitatifs gorgés de vie et d’un naturel toujours aussi confondant, la musicienne faisant son miel des hardiesses harmoniques dont Scarlatti a le secret (« Ingrato cuore »).
Philippe Jaroussky n’affiche guère la même éloquence dans un rôle (La Faute) dramatiquement très exigeant et dont il peine à restituer la gravité, un rôle qui excède aussi ses moyens vocaux – « Trombe, che d’ogni intorno », grandiose tableau de l’Apocalypse rehaussé de cuivres, démontre à nouveau que la bravoure sied mal à cet instrument flexible, mais uniment clair et léger, qui en vient à crisser sous l’effort. Il nous peine de devoir l’écrire, mais l’émission s’avère trop souvent tendue et l’aigu, moins facile sinon parfois durci, ne renoue que fugacement avec la grâce qui l’a longtemps caractérisé. Particulièrement soignée, avec un fort beau sens de la respiration, la direction de Patrick Cohen-Akenine impose moins une vision qu’elle n’offre un soutien, sans faille, aux solistes, ce qui est déjà beaucoup.