Reprise d’une production maintenant bien connue car chroniquée ici même, au Théâtre des Champs Elysées, ainsi qu’à Rome, Orfeo ed Euridice fait le plein sur la célèbre avenue.
Le travail de Robert Carsen, repris méticuleusement par Christophe Gayral, est une synthèse des forces et des faiblesses de la manière du metteur en scène canadien : une esthétique au cordeau qui s’appuie sur les images et les symboles évidents du livret qu’elle illustre, une réalisation au professionnalisme irréprochable (les lumières) qui malheureusement ne caresse que la surface de l’œuvre, engoncée dans un éternel costume cravate.
© Vincent Pontet
Il y a foule certainement car Jakub Józef Orliński fait ce soir ses débuts scéniques parisiens. Bien qu’habitué des récitals sur ces rives de la capitale, il excelle dans cet autre exercice comme déjà nous l’avions constaté à Londres l’an passé : le charisme scénique accompagne un jeu sobre et crédible qui épouse les afflictions, joies et frénésies du poète. Le rôle lui donne un peu de fil à retordre. Son amplitude contraint le contre-ténor polonais à briser la ligne pure qu’on lui connait et à métalliser un timbre pourtant si suave et doux. C’est le prix à payer surement pour maintenir puissance et projection dans une œuvre où l’orchestre est plus étoffé qu’à son habitude. Ce ne sont là que broutilles tant le reste est incarné avec une justesse confondante. Du premier « Euridice » crucifiant à l’air final (« che faro senza Euridice ») qui s’épargne l’esbroufe d’un excercice de concert et propose des variations légères serties sur des nuances piano remarquables, Jakub Józef Orliński se revèle un Orfeo tout à fait approprié dans cette mouture viennoise originelle du chef-d’œuvre de Gluck. Il peut compter sur un entourage de qualité. Annoncée souffrante, Regula Mühlemann ne le laisse transparaitre que dans une émission et un volume que l’on sent contraints. L’interprétation est au plus juste et porte le personnage des épanchements amoureux aux tristesses de l’abandon sans jamais forcer le trait et tomber dans une jalousie triviale. Elena Galitskaya offre à entendre la quintessence du rôle d’Amore : de l’autorité et des accents comiques.
Enfin, cette reprise donne l’occasion aux Parisiens de se repaitre du nectar servi par Thomas Hengelbrock et du Chœur et de l’Orchestre Balthasar Neumann, déjà en fosse l’an passé pour la reprise d’Alcina au Palais Garnier. Le chœur ne se départ jamais d’une homogénéité parfaite et répond avec malléabilité aux volontés du chef. De piani en tutti, sans jamais perdre une once d’intelligibilité, il nous fait voyager de la tombe d’Euridice aux Enfers et aux Champs Elyséens. Il en va de même pour l’Orchestre, capable de la plus grande virtuosité comme des nuances les plus subtiles. Le deuxième acte et ses évocations du royaume des Morts ravissent tant par la qualité et la beauté des instruments solistes (les vents, la harpe au premier chef) que par la cohésion de la formation. Le chef lui mène sa barque sur le Styx d’un geste sûr. On lui sait gré de ne jamais chercher des contrastes trop forts et des variations de rythme caricaturales. Cette musique respire avec naturel et ne se donne que la plus belle des coquetteries : travailler les tons et les ambiances au service du théâtre.