Le festival Rossini de Bad Wildbad a bonne réputation : certains murmurent même qu’il est en train de surpasser en qualité celui de Pesaro, nous n’entrerons pas dans ce débat… Cela dit, la production de ce Turco in Italia fait, en tout état de cause, largement honneur aux organisateurs et aux aficionados rossiniens qui se pressent dans la petite ville d’eau allemande qu’affectionnait Rossini en son temps.
Si la mise en scène souffre de petits moyens, peu importe. Les décors sont sommaires et contemporains, mais l’imagination du metteur en scène fait oublier très rapidement la modestie d’un dispositif dont il a tiré le meilleur. Admirablement dirigés, les chanteurs jouent la comédie à merveille – à tel point qu’on se prend l’envie d’embrasser Jochen Schönleber pour son excellent travail. Tout cela est mené tambour battant, avec une énergie communicative totalement au service du chant rossinien et de la rapidité d’action souhaitable dans les bouffonneries de l’époque. Les idées fourmillent dans cette mise en scène, mais ce qui force l’admiration reste le tempo remarquable avec lequel l’ensemble est mené. Pourtant, dans les moments de confusion les plus fous, les chanteurs sont disposés le plus souvent en rang d’oignons et faussement statiques. L’effet, suprenant, accentue curieusement l’énergie flamboyante des finales de chaque scène.
Quant à la distribution, elle s’impose par la cohérence du groupe et la beauté des ensembles. Les réticences éventuelles s’effacent rapidement devant une telle unité de ton. Christian Eberl est un Selim mieux que convaincant : belle assurance vocale, ambitus large, sensualité d’une voix capable de nuances subtiles et très orientalistes, c’est-à-dire terrible, douce et ample à la fois, charmeuse et charnelle. En Fiorilla, Alina Furman force le respect même si on pourrait lui reprocher des difficultés dans les accélérations. Le timbre est beau, puissant et la technique solide. La Zaida d’Elsa Giannoulidou équilibre le duo féminin rival. Le crêpage de chignons des deux adversaires est inénarrable et vocalement splendide. Quant à José Luis Sola, il incarne à merveille un Don Narciso dont on remarque d’abord le physique avantageux. Le volume sonore ainsi que la justesse et l’autorité de la voix font le reste. Le seul en retrait est Massimiliano Silvestri dans le rôle plus restreint d’Albazar, qui semble s’économiser pour sa performance du lendemain dans Ser Marcantonio. Jolie voix, mais petite et dont on sent qu’elle a du mal à passer la rampe. La star du soir reste sans conteste Bruno Praticò dans le rôle Don Geronio, le cocu de service, grotesque à souhait. Sa première apparition inquiète : il paraît vieux et fatigué, mais la balourdise cache un métier sans faille et une adéquation parfaite avec le chant rossinien. L’apparente facilité dans les morceaux de bravoure et la vélocité pyrotechnique ne manquent pas de surprendre et d’exciter l’admiration bruyante du public. Les bouffonneries et fausses improvisations de la basse achèvent d’emporter un auditoire médusé et conquis. Quelque part entre Mastroianni et Totò, son interprétation rappelle les meilleurs comiques italiens.
Dirigé par un Antonino Fogliani visiblement en pleine forme, la formation de la Württembergische Philharmonie de Reutlingen sonne assez bien dans l’ensemble, mais les solistes (en particulier les cuivres) sont à la peine. À noter que les récitatifs sont interprétés au piano avec quelques belles variations orientalisantes. Au final, le tout se laisse entendre avec bonheur et quoi qu’il en soit, quelque chose de magique se produit au cours de la soirée qui s’achève dans des applaudissements vite transformés en rappel continu. Pas parfait, peut-être, mais mémorable.