Pour sa nouvelle production d’Orphée et Eurydice de Gluck (version française), le Royal Opera House met les petits plats dans les grands et fait appel au chorégraphe londonien Hofesh Shechter. Vedette outre-manche, sa notoriété croit en France après plusieurs visites de sa compagnie au Théâtre de la Ville, ou en Avignon cet été. John Fulljames lui prête main-forte à la mise en scène. Juan Diego Flórez fait une prise de rôle admirable et John-Eliot Gardiner anime les English Baroque Soloists et le Monteverdi Choir depuis une fosse déplacée sur scène.
Complètement retravaillé, le carré de la scène est divisé en trois plateaux rectangulaires qui peuvent s’élever ou s’abaisser. Sur celui du centre, l’orchestre est tour à tour en hauteur pour laisser la danse s’épanouir, ou sous terre pour évoquer les enfers où descend le poète. Au diapason de ces mouvements horizontaux, la direction de John-Eliot Gardiner oscille du piquant des interventions d’Amour, en passant par l’allant et la fougue qui accompagnent les furies, à l’élégie du recueillement d’Orphée. Il a fort à faire : cette position centrale haute ou basse complexifie les départs à donner et surtout le volume auquel l’orchestre doit jouer. D’autant que le plafond se présente pour commencer comme une conque en bois, similaire à celle d’une version concert. Percée de trous pour des jeux de lumière du plus bel effet (Lee Curran), elle peut, elle aussi, se séparer en trois morceaux, ce qui change une nouvelle fois l’acoustique et la résonnance. Chapeau bas à tous les interprètes, pas un seul décalage, pas une seule fausse note dans cette vaste chorégraphie réglée au millimètre !
© Bill Cooper
Le bonheur est aussi dans la voix charmeuse de Juan Diego Flórez. Souverain dans un registre haut très souvent sollicité, le Péruvien déploie un legato, un phrasé évident. La suavité du timbre est d’autant mise en avant que la diction française est irréprochable. Le rôle est pleinement vécu, de la première intervention déchirante à la joie qui explose dans des vocalises virtuoses. Lucy Crowe (Eurydice) en revanche, peine à séduire malgré un timbre opulent. Son français plus pâteux est en cause, de même qu’une présence scénique plus gauche. Un défaut que n’a pas Amanda Forsythe, voix rayonnante et colorée du dieu Amour.
Que ce soit la rêverie en quatre stations de Pina Bausch à l’opéra de Paris, ou la douloureuse réflexion sur les âges de la vie et le deuil à Lyon l’an passé, Orphée et Eurydice inspire les metteurs en scène, les plasticiens et les chorégraphes. Ici, la lecture est assez classique suivant la linéarité du récit. John Fulljames concentre ses efforts sur le personnage principal presque toujours en scène. Il ménage quelques effets, tel Amour qui émerge parmi les musiciens de l’orchestre et harangue depuis la scène surélevée. Le venin vient bien plus du chorégraphe d’origine israélienne Hofesh Shechter. Plus habituée à travailler sur des musiques électroniques au tempo libre, la troupe de l’Hofesh Shechter Company paraitrait presque sage à suivre les temps. Mais bien vite, la saccade, les spasmes des corps et les danseurs qui s’individualisent, déconstruisent le classicisme de l’ensemble. Paganisme, ironie et pessimisme approfondissent le récit. Alors que les danses de célébration ont lieu (l‘ensemble de la musique de ballet est donnée à la fin de l’ouvrage), l’ambiance change progressivement parmi ces corps qui se désagrègent. Enfin, on emmène Eurydice à nouveau inanimée. Orphée reste seul, dépouillé de lieto fine.
La BBC propose de regarder quelques extraits vidéo.