Le 2 janvier dernier, l’Opéra de Bâle donne La Grande Duchesse de Gérolstein, ou plutôt, il faudrait dire une variation sur le thème de La Grande Duchesse de Gérolstein, par le metteur en scène suisse Christoph Marthaler. On s’en doute, le programme est peu conventionnel : six extraits du premier acte de La Grande Duchesse, suivis d’airs de Haendel, Wagner et Brahms joués au piano. Le tout est présenté dans un écrin réalisé par Anna Viebrock : au rez-de-chaussée, une boutique d’habits de luxe tendance camouflage et un marchand d’armes ; à l’étage, le salon d’un Palace, lieu d’attente, de fumée, de potins et de chansons à boire. Résultat, les représentations se jouent à guichets fermés et la critique est élogieuse.
Tout juste neuf jours plus tard, le spectacle est présenté à Pleyel, en version de concert faute sans doute de trouver une salle susceptible d’accueillir la mise en scène de Christoph Marthaler. Idée cocasse pour un opéra bouffe ! On supprime donc méticuleusement tout ce qui a fait le succès du spectacle bâlois. Imaginez : ôtez les décors et l’essentiel de la mise en scène pour ne garder que les costumes, retirez tous les dialogues comiques de sorte que le public se concentre sur la musique, renvoyez l’ensemble du chœur en ne gardant que 8 chanteurs, enlevez Haendel, Wagner et Brahms et remplacez-les par des airs tirés des 2e et 3e actes de la Grande Duchesse appris à la dernière minute. Vous aurez la version beauf d’un opéra bouffe.
Il faut dire que certains contretemps fâcheux sont venus perturber le bon déroulement de la production parisienne : le rôle du récitant aurait dû être tenu par Julie Depardieu. Celle-ci ayant fait faux bon, on réimprime les programmes en annonçant que le Général Boum, Christoph Homberger, sera Monsieur Loyal. Mais face à l’évidente difficulté qu’ont les chanteurs allemands à s’exprimer en français, c’est pour finir, notre homme orchestre national, Hervé Niquet qui endosse le rôle. En dépit de quelques petits talents de comédien, le chef peine à lire les antisèches qu’il garde avec lui, freinant la fluidité du déroulement scénique.
Fort heureusement, la pauvreté de la mise en scène est rachetée par un humour décapant. Particulièrement dans les quelques dialogues de l’opéra qu’on a conservés … en allemand ! Pourquoi s’enquiquiner à reprendre le texte d’origine en français ? Autant vous dire que les quatre germanophones de la salle contenaient difficilement leurs rires. Homberger, s’il n’a pu se distinguer par ses talents de narrateur, a brillé par l’interprétation de son personnage, toute en spiritualité, nous gratifiant d’un rot sonore et d’une séance de ronflement. C’est du reste dans ces pantalonnades qu’il excelle le plus. Finalement, les jeux de scènes entre chanteurs et chef d’orchestre créent une ambiance bonhomme. Non, vraiment, c’est à se tordre !
Cet humour est relayé avec beaucoup plus de subtilité par une habituée d’Offenbach, Anne Sophie Von Otter qui apportait ici sa contribution à la série « Les Grandes Voix ». En 2004, la chanteuse suédoise (suisse d’après les rédacteurs du programme) avait chanté Offenbach sous la direction de Marc Minkowski. En véritable comédienne, elle insiste sur l’humour du texte, parfaitement à son aise dans ces airs qu’elle a déjà interprétés plusieurs fois : elle roule des yeux de merlans frits, n’hésite pas à taper du talon ou jouer des épaules devant un Fritz goguenard, scandant avec malice « Ah, que j’aime les militaires ». Elle sait travestir sa voix avec une aisance stupéfiante : d’abord autoritaire dans « l’Air du Sabre », puis alternativement caressante et narquoise dans « la Déclaration ». Les aigus tirés, le yodle de la Méditation, les hoquets et autres changements intempestifs de mesure sont autant de prétextes à pitreries faits avec un naturel désarmant.
Il faut dire que notre Grande Duchesse a été bien gâtée, faisant équipe avec deux vieux routiers de l’opéra, Karl-Heinz Brandt et Christoph Homberger qui savent jouer à merveille leurs rôles de vieux et de routiers, un peu moins celui de chanteur d’opéra, formant un couple de conspirateurs pâteux et sans entrain. Leur voix, usée jusqu’à la corde ne porte pas jusqu’au premier balcon malgré un chœur réduit à sa portion congrue. Homberger a peine à venir à bout des couplets du Général Boum, pourtant si savoureux, et Brandt disparait à côté de son corpulent complice dans un filet de voix fluette. Quand au troisième conjuré, Rolf Romei, son rôle ne lui permet de briller que par sa fadeur ce qu’il fait avec brio.
Cela dit, il serait malhonnête de ne pas souligner les moments de plaisirs musicaux que nous avons eu à entendre Agata Wilewska qui fait une charmante Wanda, dont la voix claire nous offre un duo nerveux avec Anne Sophie von Otter dans « J’ai mes nerfs ». Reconnaissons également que Norman Reinhardt a un timbre de voix fort agréable. Agrémenté des rires chantés du chœur accompagnant le récit des déboires militaires du fusiller, c’est un petit régal.
Mais, c’est un peu court ! Il faut dire qu’après l’entracte, les chanteurs ont tous rouvert leur partition, et c’est cachés derrière leur pupitre, qu’ils ont continué leur performance, ne cherchant même pas à dissimuler leur manque de préparation dans cette deuxième partie qui n’avait pas été jouée à Bâle.
Le spectacle est sauvé par Hervé Niquet qui tout en plaçant quelques boutades et facétieux jeux de scène contient les élans de l’orchestre afin que l’on puisse entendre quelque chose de ce qui se chante. Sa direction qui n’est pas sans rappeler certains exercices de sound painting, est dynamique, précise et ne manque pas d’élégance. Le Kammerorchesterbasel quant à lui ne se laisse pas décontenancer par les changements de direction que la mise en scène lui impose. Tout en couleurs et en nuances, les musiciens nous offrent plusieurs moments d’une grande qualité musicale, tel que le quintette à cordes du « Fameux régiment de la Grande Duchesse ».