Pour prévenir toute équivoque, le titre n’annonce pas un opéra sur la sociologie de la France contemporaine. Cela dit, les informations suivantes sur l’œuvre proviennent d’un texte dû à Giuseppina Mascari, qui a réalisé l’édition critique, reproduit dans le programme de salle. Créée en mars 1827 à Milan, l’intrigue repose sur la trame d’un roman français, Le renégat, publié en 1822 à Paris et traduit en italien en 1824. Son auteur, Charles-Victor Prévost, vicomte d’Arlincourt, adapte « à la française » la vogue médiévale venue d’Outre-Manche en peignant les infortunes d’une princesse chrétienne, Ezilda, à l’époque des expéditions musulmanes en terre franque. Son futur époux, Clodomiro, a disparu lors des désordres qui ont accompagné la fin des rois mérovingiens dont il était l’héritier. En fait, rescapé de maints dangers, il est arrivé en terre d’Islam, s’est converti et sous le nom d’Agobar il commande désormais l’armée d’invasion, animé par le ressentiment et la volonté de détruire le royaume franc. Des paysages tourmentés, sauvages, menaçants servent de décor au drame à la fin duquel les deux protagonistes meurent. Agobar cumule les traits du héros romantique, le solitaire, l’exilé poursuivi par l’adversité, marqué par le destin et qui porte malheur à qui le fréquente et qui l’aime.
Ce récit touffu Romanelli s’évertua à le réduire aux dimensions d’un livret d’opéra en ne retenant que les moments saillants de l’aventure et en supprimant nombre de personnages. Dans le camp chrétien, auprès d’Ezilda on trouve le général Leodato, amoureux d’elle, le barde Gondaïr, qui s’accompagne de la harpe, et l’abbesse du couvent où Ezilda se réfugie quand les troupes des musulmans menacent son château. Revenu en vainqueur sur les lieux témoins de la chute de sa dynastie Agobar/Clodomiro éprouve amertume et désir de vengeance ; mais ayant revu Ezilda il finit par renoncer à tout détruire et annonce qu’il va se retirer vers un autre front, ce qui favorise une contrattaque victorieuse des chrétiens. Deux officiers arabes, dont l’un le soutient et l’autre le contestera avant de l’assassiner, complètent la distribution, avec les chœurs des montagnards des deux sexes, des soldats arabes et des vierges du monastère. Créée à La Scala dans une mise en scène signée d’Alessandro Sanquirico l’œuvre fut acclamée, donnée dans la foulée à Vienne et ensuite à Naples, et durant les dix années suivantes elle fut représentée dans quatre-vingt productions différentes. Et puis elle quitta l’affiche, le goût changeait. Vingt-sept ans plus tard, Pacini revoit son opéra et compose plusieurs numéros nouveaux pour le Théâtre Italien de Paris, mais l’accueil est tiède pour une pièce jugée surannée. Dès lors le titre disparaît du répertoire. En le programmant, le festival Belcanto de Bad Wildbad a visé juste : le public est venu nombreux, même de l’étranger, et la satisfaction dominait largement à l’issue du concert.
Satisfaction de la découverte et satisfaction de l’exécution. On considère souvent Pacini comme un musicien qui pour exister s’est baigné dans la lumière de Rossini, et lui-même reconnaît, dans ses Mémoires, avoir cherché le succès en s’inspirant des procédés qui faisaient la réputation et la fortune de l’Astre. Or on découvre, à l’écoute de l’œuvre, que si tel air ou tel chœur en portent l’empreinte, pour l’essentiel la musique sonne souvent comme du Bellini, et on se prend, à l’aide de la chronologie, à se demander non pas si mais quand et combien de fois l’auteur de Norma a pu entendre Gli Arabi nelle Gallie, tant les timbres, les couleurs et les courbes mélodiques de Pacini ramènent à lui. Giuseppina Mascari attire l’attention sur la manière dont le compositeur s’écarte de Rossini dans les airs, en séparant nettement l’entrée déclamée et la partie chantée où l’émotion est soutenue par les arpèges à l’orchestre, comme on peut l’entendre dans la cavatine de Leodato au premier acte et dans l’air d’Ezilda au deuxième. A l’écoute, le chœur d’entrée saisit par son ampleur, composé d’hommes et de femmes en groupes divers, qui expriment leur détresse et leur effroi, auxquels le barde s’efforce de redonner du courage. En tout le chœur intervient à huit reprises, sujets d’Ezilda, soldats chrétiens, guerriers arabes, moniales, chacun est caractérisé par les émotions exprimées. Récitatifs secs habités par l’excellent Paolo Raffo, musique de scène enregistrée mais parfaitement synchronisée pour restituer les effets de spatialisation et donner à entendre l’arrivée de l’armée arabe, orgue pour accompagner le prière d’Ezilda, l’introduction au violoncelle et au cor anglais du duo entre Ezilda et Agobar, les courbes mélodiques répétées qui imprègnent et qu’on est prêt à reprendre, sans oublier les coloratures et ornements à la fois hédonistes et expressifs, on a bien du plaisir à écouter cette musique !
© Rossini in Wildbad
Aussi exprimerons-nous d’abord une reconnaissance globale pour tous ceux qui ont participé à la réalisation de ce projet, au premier rang desquels Marco Alibrando. Sa direction précise et sensible a ressuscité pour nous le souffle d’une oeuvre que ses qualités redécouvertes devraient réintégrer au répertoire. Sans doute est-elle exigeante, pour les chœurs, nous l’avons dit, et pour les solistes, en particulier le quatuor formé par Gondaïr, Leodato, Ezilda et Agobar. Le premier, investi du rôle de survivant de la classe des druides, à la fois poète et guide, est le dépositaire de secrets et contribue par son influence à rassurer le peuple inquiet même s’il n’a pas d’air à proprement parler. Le baryton-basse Roberto Lorenzi impressionne à la fois par sa haute taille et par la projection d’une voix bien timbrée dont l’énergie, liée à l’expressivité de la musique, annonce celle des barytons Verdi.
Le rôle en travesti du général malchanceux et si contrit d’avoir perdu alors qu’il avait promis la victoire, et qu’il espérait, grâce à ce triomphe personnel, obtenir enfin l’amour d’Ezilda, pour qui il soupire ardemment mais sans trop oser le lui dire, et elle ne l’aide pas car elle semble ne rien comprendre à ses ébauches de déclaration – la scène pourrait être comique, n’était le contexte dramatique – est défendu par Diana Haller . Elle s’est emparée avec détermination du personnage et elle fait un sort à sa cavatine d’entrée, à ses duos avec Ezilda et Agobar et au trio avec Ezilda et Gondaïr, égale à elle-même dans l’étendue de sa voix, sa maîtrise technique, sa vigueur et sa capacité à transmettre les états d’âme de ce malchanceux général. Serena Farnocchia incarne celle pour qui il soupire en vain, la princesse qui a eu le malheur de perdre celui qu’elle aimait, qui depuis l’attaque de son domaine intercède en faveur du peuple pour lequel elle prie dans le monastère où elle s’est réfugiée. Revoir celui qu’elle aimait, qu’elle croyait mort, en renégat dont la puissance militaire la menace libère en elle une houle de sentiments contrastés où les souvenirs du passé sont combattus par la réalité présente. C’est ce tumulte intérieur que la musique reflète et que Serena Farnocchia exprime avec toutes les ressources de sa longue voix et sa maîtrise virtuose des figures de style du belcanto, de l’imploration caressante à l’évocation nostalgique en passant par les éclats de l’émotion. Quant au rôle à la tessiture si éprouvante d’Agobar, qui impose sauts d’octave et agilités enchaînées à des cadences vertigineuses, tout en réclamant une sensibilité certaine pour exprimer le mélange complexe de nostalgie, de ressentiment et d’apaisement au bout duquel le personnage, venu pour faire un massacre et tout détruire, repartirait si un adjoint furieux d’un abandon qu’il assimile à une trahison ne le poignardait, c’est Michele Angelini qui relève le défi, avec le panache qu’on lui connaît, sans éluder les risques qu’il assume crânement. Dans le rôle de ses deux adjoints, l’ami et le conjuré, Francesco Lucii et Francesco Bossi, deux élèves de l’Académie, figurent dignement auprès de leurs aînés dans la carrière. Quant à l’abbesse, le rôle donne à Camilla Carol Farias l’occasion de faire entendre une voix pleine et bien posée.
Tous, solistes, choristes et musiciens de la Philharmonie de Cracovie, ont été longuement ovationnés par un public manifestement ravi. Espérons que l’enregistrement réalisé permettra de retrouver le plaisir de la découverte, que les auditeurs de la radio bavaroise ont pu connaître ce samedi 22 juillet.