Monter un monument du répertoire lyrique est toujours une gageure, en particulier pour une maison d’opéra aux moyens limités. Tours a néanmoins doublement relevé le défi pour l’ouverture de sa saison lyrique en proposant une nouvelle production de Rigoletto, et en misant sur une équipe de jeunes chanteurs peu connus. Triplement devrions nous même dire, la partition retenue pour cette série de représentations étant basée sur une édition critique dont les traits les plus saillants sont la suppression de certains aigus ajoutés par la tradition (particulièrement notable chez Rigoletto) et le rétablissement d’une cadence a capella dans le duo entre le Duc et Gilda.
Au regard du résultat, l’audace ne s’avère malheureusement pas totalement payante.
On ne jugera pas sévèrement le Rigoletto de Nigel Smith, gêné au premier acte par un graillon dans la gorge dès qu’il allège dans le médium, au point qu’il ne peut éviter l’accident. La situation s’améliore heureusement dès l’acte 2. En tout état de cause on peut s’interroger sur l’adéquation vocale du chanteur canadien à un rôle qui le condamne à outrepasser ses moyens naturels.
Sabine Revault d’Allonnes (Gilda) est une habituée des lieux où elle a chanté des rôles variés, tels Illia (Idomeneo), Giulietta (I Capuleti e i Montecchi). Est-elle pour autant Gilda ? La voix est tranchante et bien projetée, ce qui la fait ressortir dans le trio « Somiglia un Appolo ». Mais cette jeune fille manque trop de fraîcheur et d’ « italianità » pour nous émouvoir, d’autant que l’écriture virtuose du premier acte met la soprano en difficulté.
Le Duc de Christophe Berry, lui, ne démérite pas malgré une entrée ratée. Au premier acte, l’ensemble au cours duquel les courtisans jurent de se venger de Rigoletto est en effet méconnaissable du fait de la disparition totale des interventions du ténor (« sempre tu spingi lo scherzo »), couvertes par le chœur. Cela s’arrange par la suite, le chanteur français tenant sa partie, cabalette « possente amor mi chiama » incluse (mais sans suraigu conclusif, édition critique oblige). Restent cependant des vocalises parfois raides et surtout une certaine monochromie vocale qui peinent à rendre le chant excitant.
Le principal point noir de la matinée reste malgré tout la mise en scène de François de Carpentries. Nous n’avons rien contre les décors sobres et fonctionnels de Karine Van Hercke. Ni contre le choix d’une approche plutôt illustrative. Mais par ailleurs que de lourdeurs ! Faut-il systématiquement animer le chœur (par ailleurs impeccable) par des chorégraphies grotesques ? Quelques bonnes idées comme l’assassinat de Giovanna (qui rend l’enlèvement de Gilda encore plus odieux), ou le porno soft en ombre chinoise qui dévoile à Rigoletto la vérité sur sa fille sont malheureusement noyées soit dans l’insignifiance (le duc reste planté sans bouger au milieu de la scène pendant son duo d’amour avec Gilda), les effets qui tombent à plat (l’assassinat de Gilda n’est pas en phase avec la musique) ou les idées incompréhensibles (mais que diable fait Gilda en robe de mariée au troisième acte ?).
Les bonheurs sont davantage à rechercher dans la fosse, avec un Orchestre Symphonique Région Centre Tours galvanisé par la battue implacable de Jean-Yves Ossonce, ce qui nous vaut notamment un premier tableau à la brillance factice parfaitement rendue et un orage au troisième acte particulièrement impressionnant. Seul manque peut-être un soupçon de rêverie dans le « Caro nome » pour parachever cette réussite.
On se console également avec des seconds rôles très biens tenus. On retient en particulier un Monterone (Ronan Nedelec) suffisamment véhément pour glacer le sang à chaque apparition, un Sparafucile (Chul Jun Kim) qui manie les notes graves aussi bien que son couteau ou encore une Maddalena (Aude Extremo) à la voix aussi gironde que le requiert le personnage.