Comme déjà dit (cf. notre compte-rendu de Tannhäuser), la scène du théâtre de la Passion d’Erl ne dispose d’aucun des dispositifs techniques (dessous, dessus, coulisses, fosse d’orchestre) dont bénéficie la grande majorité des théâtres lyriques. Condamné à « faire simple », Gustave Kuhn essaie de donner à chacune de ses productions un petit air de « pas déjà vu » en ajoutant essentiellement des accessoires et quelques éléments de décor, et en faisant jouer sur le cyclorama des couleurs (vert, rouge, bleu et jaune) d’une absolue laideur (on rêve vraiment de voir tout cela en noir et blanc !). Aussi, était-il nécessaire, dans des conditions techniques aussi précaires, d’ajouter entre l’orchestre et la scène sept colonnes à section rectangulaire de près de 8 mètres de haut, et qui plus est de les faire tourner sur elles-mêmes (!) au milieu du premier acte ? L’une d’elles, se décrochant du haut, est venue s’abattre sur l’orchestre dans le cri d’une spectatrice essayant de prévenir les artistes de ce qu’aucun ne pouvait voir venir. Une violoniste est blessée à la tête, son violon détruit, Le chef vient après une longue interruption nous donner de ses nouvelles : elle n’a aucun traumatisme grave ; nous lui souhaitons un prompt rétablissement. Le reste de la représentation se déroule sans autre catastrophe, malgré la présence d’une immense échelle métallique se renversant au-dessus du public sous les cris d’inquiétude de ce dernier, tandis que Klingsor, accroché tel un artiste de cirque, continue imperturbablement ses vociférations.
La direction de Gustav Kuhn est comme toujours d’une haute tenue, sans toutefois atteindre à la clarté orchestrale incomparable de Boulez lors de ses derniers Parsifal à Bayreuth. Avec le peu de respirations données par le chef à l’orchestre, les scènes s’enchaînent à une cadence accélérée. De ce fait, on regrette notamment de ne pas entendre – malgré un orchestre pourtant paradoxalement souvent trop présent – ces fulgurances soudaines et ces éclats d’acier que l’on attend.
Malgré les couleurs saint-sulpiciennes du cyclorama, la mise en scène de Gustav Kuhn est plus profane que religieuse, et plus proche d’Harry Potter et de Shrek que des romans de chevalerie. Et même si une croix apparaît un moment, on pense plutôt à une imagerie populaire : donc opéra peu sacré auquel il manque ici le mystère et la religiosité, et que concluent les enfants d’Erl à la tenue scénique parfaite, apportant des rameaux d’arbres divers. Il faut dire aussi que des filles fleurs kitchissimes, un lâcher d’énormes fleurs en papier du plafond, et les choix de costumes n’arrangent pas les choses… Les chœurs, comme toujours d’une grande perfection, ne suffisent pas non plus à infléchir l’impression générale de drame profane, encore accentuée par la transposition dans les années 30, où Amfortas est une espèce de gangster en costume blanc et chaussure rouges à la « Certains l’aiment chaud ».
Vocalement parlant, l’ensemble est magnifique. On retrouve avec plaisir trois chanteurs qui, deux jours auparavant faisaient partie de la distribution de Tannhäuser, et qui confirment ici, et au-delà, leurs possibilités vocales et expressives parfaitement adaptées à leur rôle. L’Amfortas de Thomas Gazheli, est impressionnant tant de force vocale que d’expressivité et d’intelligence du texte. Le Klingsor de Michael Kupfer est vocalement aussi superbe que son Wolfram, tandis que sa prestation d’acteur lui est encore supérieure. Quant à Mona Somm, elle est une Kundry aussi sauvage que sa Vénus ; il est des Kundry à la voix plus grave, mais rarement la caractérisation nous a semblé aussi égale sur toute l’étendue de la tessiture, avec des éclats particulièrement adaptés au personnage et à son évolution. À leurs côtés, Franz Hawlata, transformé en professeur d’école, campe un Gurnemantz intéressant, particulièrement humain, à la voix peut-être pas assez sombre, mais à la haute tenue vocale. Michael Doumas est un Titurel de qualité. En Parsifal, Michael Baba a fort à faire pour se hisser au niveau de ses partenaires, mais y arrive plus qu’honorablement : c’est très naturellement qu’il chante et exprime fort bien le chaste fol. Les filles fleurs sont parfaites, de même que les deux ritter (Wolfram Wittekind et Frederik Baldus), et les knappe. La danseuse Claudia Czyz, enfin, évoque, en une très courte apparition, un cygne émouvant, puis continue de participer avec intelligence et grâce à l’évolution de l’action.