Grand succès de la précédente saison munichoise, l’ultime chef d’œuvre de Richard Wagner est repris cette année avec une distribution largement modifiée. Premier changement, et de taille, le rôle-titre est interprété par Burkhard Fritz au lieu de Jonas Kaufmann. Le ténor allemand offre une belle musicalité, une projection correcte et assez lumineuse dans le haut médium, avec un timbre assez agréable à défaut d’être très caractérisé. Les notes les plus aigües sont toutefois rarement franches, plutôt mixées et couvertes, sans beaucoup d’éclat. Dans la partie centrale du rôle, la voix est un brin engorgée plus confidentielle, car le chanteur manque de largeur de timbre. Cette inadéquation finit d’ailleurs par se faire entendre : à force de chanter dans une tessiture trop grave pour ses moyens naturels, Burkhard Fritz finit par fatiguer et doit s’absenter durant son duo avec Kundry, le temps sans doute de se rafraichir après avoir frôler l’accident. Scéniquement, l’artiste, pourtant familier d’un rôle qu’il a chanté jusqu’à Bayreuth, manque singulièrement de charisme et évacue une grande partie de l’émotion dramatique. Sans être indigne, sa prestation nous laisse donc quelque peu sur notre faim. Heureusement rescapée de la distribution originale, Nina Stemme est proprement phénoménale en Kundry. Dans ce rôle souvent chanté par des mezzos, le soprano suédois offre un registre central impressionnant d’homogénéité et de puissance, dardant des aigus qui nous clouent à notre fauteuil. Le timbre est chaud, le vibrato bien contrôlé. Scéniquement, sa prestation dramatique embrase le plateau, emportant tout sur son passage. Même ses interventions presque muettes aux actes I et II s’imposent à notre attention par son magnétisme unique. La quasi absence d’une telle artiste sur la scène de l’Opéra de Paris est tout simplement incompréhensible. Comme l’avait déjà noté notre confrère en 2018, René Pape a du mal à tenir la distance. Son Gurnemanz est parfait d’intériorisation et d’autorité au premier acte. Au dernier en revanche, la basse allemande perd de sa puissance (vocale autant que scénique) et le grain de la voix est altéré. Projection, homogénéité, l’Amfortas de Michael Nagy est vocalement remarquable et on le réentendra avec plaisir… dans d’autres rôles. Tant vocalement que scéniquement, le baryton allemand manque en effet par trop de fragilité, et ne semble jamais ressentir la douleur qui est supposée tourmenter le roi des Chevaliers du Graal. Derek Welton est l’excellente surprise de cette reprise. Avec son physique un peu poupon, il campe un Klingsor aux allures de Papageno survitaminé, avec une fraicheur juvénile dans la noirceur, absolument originale et très convaincante. Le timbre est clair, avec un peu de gras, la projection en impose par sa puissance naturelle. L’émission est parfaitement placée et le baryton australien semble chanter sans efforts : une voix rare à suivre de près. Les autres rôles, moins exigeants, sont parfaitement tenus par les artistes de la troupe. La voix de Titurel, qui chante hors de scène, sonne comme si elle avait été sonorisée, ce qui ne nous semble pas nécessaire. Les chœurs sont irréprochables.
© Wilfried Hösl
La production associe le plasticien Georg Baselitz et le metteur en scène Pierre Audi. Sans grande surprise, Baselitz fait du Baselitz, un peu comme Bill Viola plaquait des œuvres (parfois antérieures) sur le Tristan und Isolde de l’Opéra de Paris. Les rideaux de scène, avec leurs corps tête en bas, ressemblent furieusement à des œuvres anciennes. La forêt du premier acte est à peine plus originale, mais son effondrement sur elle-même est impressionnant. Toutefois, pourquoi conserver le même décor pour le château de Montsalvat aux premier et dernier actes ? Pas d’autel, pas de salle, pas de Graal ni de lueur divine… Les Chevaliers sont quant à eux revêtus d’une fausse peau qui caricature leur nudité. On a l’impression d’une cérémonie New-Age dans un camping naturiste pour gays séniors. A l’acte II, les filles-fleurs sont encore moins gâtées, affublées elles aussi du même type d’oripeaux, maculés cette fois de sang de menstruation : voilà qui relativise la résistance de Parsifal à la séduction. Le décor du second acte (une couette à carreaux géante qui, dépliée, figure la muraille de la forteresse de Klingsor) a également un air de déjà vu, du moins quand on prend le temps de parcourir l’œuvre du peintre. Pierre Audi a semblé intimidé par ces décors impressionnants qui s’imposent à l’ouvrage et suscitent une fascination certaine malgré les réserves mentionnées. La direction d’acteur est soignée, mais le metteur en scène n’apporte rien de fondamentalement nouveau à la compréhension de cette œuvre.
On sera tout autant en peine d’originalité pour qualifier la direction de Kirill Petrenko, une réussite absolue, à la tête d’un orchestre exceptionnel. Le tempo est globalement assez rapide mais sans que ce rythme ne vienne nuire à la fascination que l’ouvrage génère avec une direction hiératique. La battue n’est d’ailleurs pas uniforme et varie en fonction des chanteurs, de la situation dramatique, avec un grand naturel. La sonorité de l’orchestre est souvent claire, légère même, mais susceptible de s’assombrir soudainement, notamment dans l’incroyable crescendo qui amène la scène de Montsalvat, parfaitement maîtrisé. On apprécie aussi un son presque « bayreuthien ». Aucun hédonisme, aucune esbrouffe dans cette direction fascinante, à la fois très personnelle et qui s’impose comme une évidence. Du grand art.