On oublie souvent que Wagner a terminé la composition de Parsifal à Palerme (précisément au Grand Hôtel et des Palmes), la plume dans une main, un verre d’Aperol Spritz dans une autre. Pour l’occasion, le Teatro Massimo, qui monte l’œuvre pour la troisième fois seulement (après 1914, en italien, et 1955), expose même dans un foyer le modeste harmonium qui servit de support de travail au maître de Bayreuth.
Soixante-cinq ans sans Parsifal : la responsabilité est grande pour le Teatro Massimo. Pour beaucoup de spectateurs, ce sera leur premier et dernier ; pas le droit à l’à-peu-près. Pari réussi, au moins musicalement.
L’orchestre palermitain n’est pourtant pas dans son environnement naturel. Si l’intonation est plus d’une fois mise à l’épreuve, et qu’il n’est pas question d’espérer ici les trésors de complexité et de textures attendus ailleurs, ce qu’Omer Meir Wellber en tire est néanmoins remarquable. La phalange distille un lyrisme naturel, assez premier degré, qui enjambe l’imbrication savante des Leitmotive pour toucher l’émotion directe. Le nouveau directeur musical de la maison ne tire pas ici de grand arc de part en part (d’où un prélude un peu décousu) mais privilégie l’action, l’instantanéité théâtrale, culminant dans un mémorable enchantement du Vendredi Saint.
© Franco Lannino
La distribution est d’envergure et aligne les forts tempéraments scéniques. Pour sa prise de rôle, Catherine Hunold habite déjà Kundry comme après un long compagnonnage. La tessiture impossible ? Elle l’a : graves sonnants et assez effrayants, aigus jamais criés. La présence ? Elle l’a aussi, peut-être davantage aimante que furibarde, mais posant chaque pas, chaque regard, avec poids, avec sens. Pareil engagement chez les chevaliers du Graal. Gurnemanz ahurissant de John Relyea, dont la voix infinie n’accuse aucun signe de fatigue, peut-être car il privilégie les accents du texte au flot vocal – qui suit pourtant, souverain. L’Amfortas de Tómas Tómasson impressionne également, alter Christus à moitié nu baladant sa noire exaltation d’un bout à l’autre du spectacle. Les deux profitent de l’acoustique superlative du Teatro Massimo : malgré l’absence de décors, les voix graves (surtout) se faufilent derrière l’oreille de chacun des spectateurs avec une netteté bluffante. Klingsor un rien débraillé – vestimentairement et vocalement – mais parfaitement patibulaire de Thomas Gazheli. Arrivé quelques jours à peine avant la première pour remplacer Daniel Kirch, Julian Hubbard est encore un Parsifal un peu frais. Jeune voix claire, non dénuée de vaillance, elle séduit dans l’acte I mais se cogne aux obstacles encore infranchissables du II – à commencer par le passage de la fosse. Le III le voit se resaissir et l’on entend par moments les promesses d’un futur grand.
Graham Vick sait faire une chose : c’est diriger. Il y a dans ce Parsifal des mouvements, des regards, des gestes qui suffiraient à nous rendre heureux. Parmi d’autres, au III, la concordance de la musique et des regards lorsque Parsifal reconnaît Kundry nous fait revivre en un instant tout le duo du II. Bien joué.
Pour le reste, le metteur en scène anglais caricature le pire du post-modernisme eurotrash, sans la moindre idée si ce n’est de dire que « vraiment, la religion, c’est nul ». Envoyés par quelque puissance occidentale (Titurel est une sorte de Donald Trump) mettre le bazar au Moyen-Orient, les chevaliers du Graal (en treillis bien sûr) s’ennuient et se perdent dans un culte sectaire qui n’a de chrétien que le décorum – leur prêtre Amfortas se traîne pitoyablement, couronné d’épines comme le Christ aux outrages. Kundry est en niqab. Klingsor et sa bande ont dû s’échapper de la base militaire pour pouvoir s’amuser plus tranquillement – Kundry n’est plus en niqab. Au III, le bataillon a succombé à un stress post-traumatique généralisé et s’enferme dans un culte de plus en plus mortifère : il suffit que le premier innocent venu – Parsifal – leur ouvre les yeux sur l’absurdité de leur croyance (et la non-existence de leur Graal) pour que le monde chante et que les enfants fassent de nouveau la ronde de l’amitié des peuples. Il n’y a plus de niqab. Le beau était manifestement en option : l’urgence, nous rappelle Graham Vick dans sa courte note de programme, c’est le combat contre le racisme, l’intolérance religieuse et la masculinité toxique. OK boomer.