Faire appel à un metteur en scène japonais pour décortiquer une œuvre polysémique, nourrie de sources bien plus diverses (Orient inclus) que son évidente chrétienté, était une excellente idée sur le papier. D’autant qu’Amon Miyamoto avait signé une mise en scène saluée du Pavillon d’ Or dans ces mêmes murs. La vague interview dans le programme en reste à la lettre d’intention un peu plate et, hélas, cela se confirme dans la réalisation surchargée et qui se donne trop d’ambitions en même temps : raconter, représenter, penser et déconstruire. Le metteur en scène japonais superpose une, voire plusieurs strates narratives pour seconder l’intrigue du livret, présente de manière traditionnelle uniquement à travers les costumes de Gurnemanz et des chevaliers du Graal. Metteur en scène non occidental, Amon Miyamoto se sert du truchement d’un musée, le « MoM » (Museum of Mankind ?) qu’un jeune Parsifal et sa mère visitent pour interroger les symboles, la passion, la rédemption et tout ce qui fait l’humanité de la galerie de l’évolution vers l’art contemporain. Rien de novateur dans ces lunettes sauf à considérer que l’œil asiatique pouvait y apporter des distorsions riches de sens. Mais le metteur en scène ne s’arrête pas là et vient encombrer le dispositif d’une surcouche psychologisante déconnectée de l’œuvre. Ainsi l’ouverture présente-t-elle une pantomime où Parsifal enfant découvre une femme nue chez lui (Kundry ?), se dispute avec sa mère et voit un homme (Amfortas ?) se blesser lui-même mortellement au flanc. Cet enfant, à la fois réminiscence, incarnation de la naïveté du personnage, suivra Parsifal (le vrai) pendant quasi tout l’opéra. A cette énumération déjà indigeste il faudrait ajouter la description et la signification des quelques vidéos de la planète ou d’holocauste nucléaire (Terrence Malick est revendiqué en référence) qui ponctuent les transitions orchestrales, ou les détails des costumes qui finissent de brouiller les pistes entre les époques. Rentrons maintenant dans le « MoM » (pour « Museum of Mankind » ?) où des toiles de la vie du Christ sont accrochées (avec Marie-Madeleine, sur la Croix, des Descente de Croix etc.), où des statues présentes les différents « homos » s’étant succédés dans l’évolution. L’un deux, l’australopithèque, disparait pendant le premier acte et fera des apparitions régulières à chaque fois que Parsifal fait un pas vers la compréhension, la compassion et la bonté (l’homme naturel est bon). La réserve du musée verra la cérémonie du Graal à laquelle participent des soldats, chacun vêtu d’un uniforme d’une époque et d’un lieu différent : GI, Samouraï, casque de la Première Guerre etc. C’est dans cette réserve que l’on dissèque l’art occidental, l’humanité et son histoire. La dépouille de Tinturel y est même assimilée à un squelette hideux de cabinet de curiosité, au troisième acte. Kundry transformée en ange dès son baptême revient, ailée, faire pleuvoir des plumes de cygne. Parsifal part avec l’homme primitif dans un cercle de lumière (2001 l’Odyssée de l’Espace ? ), la terre continue de tourner autour du soleil… En somme, le dernier quart d’heure fait plus que friser le grotesque tant dans le concept que dans la réalisation, à tel point qu’on recommence à cocher le bingo des mauvaises idées qu’on avait sorti pendant la scène des filles-fleurs, où une image d’orchidée s’ouvre sur une Kundry lascive, au cas où l’allusion vaginale n’aurait pas été évidente…
© Klara Beck
Heureusement, le versant musical tient le spectateur en haleine. Les chœurs de l’Opera du Rhin délivrent une performance remarquable où ni homogénéité ni puissance ne leur font défaut. Les petits rôles sont tous excellemment distribués et chacun s’insère avec naturel dans le tissu musical quand vient son tour. Les solistes, pour la plupart appelés d’outre-Rhin, sont en revanche plus contrastés. Christianne Stotijn rencontre le plus de difficultés vocales : les attaques sont prises trop souvent par en-dessous, la ligne vocale mouvante met en péril la caractérisation du personnage. Ces défauts ne sont malheureusement pas compensés par un talent d’actrice indéniable. Markus Marquardt peut capitaliser sur ses moyens pour incarner Amfortas mais peine à faire sentir la souffrance et le désespoir du roi déchu. Simon Bailey en revanche s’appuie sur une émission franche et une couleur claire pour grimer un Klingsor cruel et ivre de pouvoir, ce que la direction d’acteur renforce en en faisant un chef de la sécurité du musée, brutal et prédateur. Konstantin Gorny possède ce qu’il faut de caverneux dans le timbre pour imposer la figure tutélaire de Tinturel. Dans le rôle-titre, Thomas Blondelle effectue une prise de rôle remarquable : il réussit tant scéniquement que vocalement à rendre le côté juvénile et bravache du premier acte, à faire sentir la métamorphose que vit Parsifal après le baiser de Kundry et enfin à incarner sa nouvelle charge de sauveur au dernier acte. La voix trouve des accents et des couleurs adéquates tout au long de la représentation et ce d’autant que le timbre sombre du ténor belge n’est pas celui qui vient immédiatement à l’esprit pour ce rôle héroïque. Enfin, Ante Jerkunica confirme, s’il le fallait encore, le grand chanteur qu’il est devenu. Les longs monologues du premier acte sont servis par une diction et une science de la phrase qui captivent l’auditoire. Ses moyens alliés à un usage fin des couleurs et nuances supportent les grandes pages que la partition lui réserve au dernier acte.
En fosse, Marko Letonja retrouve l’orchestre de Strasbourg dans Wagner, une phalange réduite en nombre d’instruments, taille de la fosse oblige. La lecture qu’il propose est fortement contrastée tant dans les tempi que dans les couleurs. Ainsi à la fougue du deuxième acte ou à une cérémonie du Graal plutôt rapide s’opposent des récits et monologues plus alanguis. Si l’acoustique de l’Opéra du Rhin sonne souvent trop sèche, cela ne l’empêche pas de construire pas à pas les ambiances qui portent le festival scénique sacré. Les vingt dernières minutes témoignent de cette science, partant du tutti suffocant qui exhorte Amfortas à réaliser son office au final tout en douceur de la paix retrouvée.