En guise de cerise sur le gâteau, après les quelque 3h30 de musique de Semele proposée en matinée, les festivaliers du Händel-Festspiele se sont rendus du Staatstheater à la Christuskirche à une vingtaine de minutes à pied pour parachever la journée avec une heure et demie de musique supplémentaire. C’est autour d’un programme consacré aux héroïnes féminines dans les opéras de Haendel que s’égrènent les numéros, ponctués d’interventions de l’écrivain Donna Leon, dont on connaît les polars ayant pour cadre sa ville d’adoption, Venise, et son attachant personnage principal, le commissaire Brunetti (les Allemands en sont très friands au point d’en avoir fait une série télévisée). Mais quel rapport avec Haendel ? Il se trouve que l’Américaine adore le compositeur, au point de lui avoir consacré un ouvrage, Le Bestiaire de Haendel, à la recherche des animaux dans les opéras de Haendel, paru chez Calmann-Lévy, accompagné d’un CD. L’écrivain est donc régulièrement l’invitée du festival et propose une vision non dénuée d’humour sur le compositeur. C’est en anglais qu’elle s’exprime ce soir (le texte est traduit en allemand dans les programmes distribués aux auditeurs), avec trois interventions où elle présente les héroïnes qu’on va découvrir successivement. On retiendra de son discours, notamment, qu’en principe les héroïnes de la plupart des opéras éponymes (Lucia, Norma, Butterfly…) sont soumises au schéma suivant : elles aiment, sont délaissées, lui survit, elle meurt. Le tout en se lamentant, mais sans se venger. Chez Haendel, au contraire, les femmes se plaignent en revendiquant, se battent, rendent coup pour coup. Pas de révélations fracassantes, mais le tout est très bien dit et parfois franchement drôle, tout en permettant de se mettre dans le contexte de chacun des opéras.
Dans la très intéressante église au style composite qui se distingue par un chœur octogonal où sont installés les musiciens face aux auditeurs disposés en éventail alentours, on a droit à une acoustique assez privilégiée. À ce propos, il est curieux d’avoir eu l’oratorio Semele dans une salle de théâtre alors que ces héroïnes sont présentées, elles, dans une église. Qu’à cela ne tienne, on prend beaucoup de plaisir à voir officier les musiciens et de découvrir autrement, dans un contexte inattendu, la voix de Patrizia Ciofi. La soprano excelle à instiller l’émotion et à caractériser les héroïnes, tour à tour maléfique et ensorcelante (formidable Alcina), vindicative et menaçante en Rodelinda, mais toujours intensément humaine et touchante. La flamboyance et les aigus percutants alternent tout de même avec une certaine acidité parfois pénible et l’on subit une sorte de voile rauque, certes bienvenu pour intensifier les airs de fureur mais pas très agréable à l’oreille. Cela dit, Patrizia Ciofi est suffisamment virtuose et excellente technicienne pour que le tout laisse une impression plus que favorable. Elle est soutenue avec une énergie rare par les membres de l’ensemble Il Pomo d’Oro sous la direction du sémillant Maxim Emelyanychev, décidément très à l’aise avec Haendel, comme il a été loisible de l’entendre récemment à Versailles pour Rodelinda. Le voir, souriant et comme habité, est un plaisir en soi, qui va jusqu’à la fascination devant tant d’abattage et de précision. Sous sa conduite, les musiciens font des miracles malgré (ou grâce) à un rythme plus que soutenu. Belle idée, donc, que ce spectacle original et passionnant.