Un an c’est long et pourtant l’Opéra de Lille n’aura pu présenter de nouvelle production, dans les conditions pré-covid, durant tout ce laps de temps. Pelléas et Mélisande, capté les samedi 20 et lundi 22 mars, et diffusé le 9 avril prochain sur OperaVision, signe déjà une première victoire pour toutes les équipes du théâtre et pour les artistes invités. La production conçue par Daniel Jeanneteau qui devait faire escale à Caen le mois prochain, repose sur une idée simple, déjà vue, celle d’une béance au milieu de la scène, comme un trou noir qui attire le décor vers ses tréfonds et autour duquel les personnages vont dangereusement graviter jusqu’au dénouement : Pelléas poignardé se laisse tomber en arrière, aspiré par le néant. Un néant duquel semble être sortie Mélisande telle une ondine au cours d’une très belle séquence vidéo, à la Bill Viola façon Tristan und Isolde, où pendant le prélude le corps nu d’une femme s’élève dans les airs, évanescent sur la bruine qui lui donne corps. Cet élément aquatique revient dans différentes scènes ponctuées d’un rideau de pluie discret. Si l’idée est donc parfaitement valable et permet une dramaturgie épurée, elle tourne aussi vite en rond. Son dénuement souligne une direction d’acteur excellente mais qui ne sort pas des canons en vigueur, même lorsqu’Arkel se fait un peu trop pressant avec Mélisande. Dommage aussi que les mouvements horizontaux qui viennent fendre cette spirale vers l’anéantissement ne soit pas plus exploités. On en comprend l’idée – la maraude de Golaud et les indiscrétions malsaines des deux vieillards – sans qu’elle s’intègre tout à fait dans l’économie minimaliste choisie comme base.
© Frédéric Iovino
Les jeunes adultes sont ce soir interprétés par un ténor et une soprano, l’autre option après celle brillamment défendue à Rouen par un baryton martin et une mezzo-soprano. Si tout est Janus dans le chef-d’œuvre de Debussy, peut-être ces tessitures sont celles qui posent le plus de difficultés interprétatives à leurs titulaires. Timbre clair et pureté de la ligne caractérisent aussi bien le chant de Julien Behr que de Vannina Santoni. Lui pourrait y trouver l’héroïsme attaché normalement à sa tessiture, et elle, l’ailleurs cristallin de l’étrangère. C’est tout le contraire que l’une comme l’autre recherchent – ce que la mise en scène leur demande aussi – sans y parvenir tout à fait : Mélisande sait ce qu’elle veut et comment brouiller les pistes ; Pelléas n’est que le deuxième frère qui n’a pas tout à fait les moyens de son ambition. Interprétations valables, bien entendu, mais qui contredisent les propos du metteur en scène dans le programme de salle « c’est dans une quête troublante que nous nous lançons, consentant à la part d’informulé que recèle cette partition ». Tout nous a semblé on ne peut plus clair bien au contraire. De même pour le Golaud d’Alexandre Duhamel, rapidement toutes griffes et décibels dehors, péché de jeunesse véniel et qui ne nuit en rien à la diction exemplaire et aux sommets de sadisme où il sait conduire son personnage! Pour autant son interprétation sait révéler les failles du personnage, notamment au dernier acte face à Mélisande mourante. Pauvre Yniold face à un tel Golaud cependant, interprété avec toute la timidité nécessaire par le frêle Hadrien Joubert (issu de la Maîrise de Caen). Damien Pass (le médecin) et Mathieu Gourlet (le berger) soignent leurs interventions de rondeurs et d’élégance. On ne présente plus Jean Teitgen dont on va finir par croire qu’il est le seul titulaire du rôle d’Arkel dans tout l’hexagone. A ce niveau d’excellence, ce serait criminel. Seule la Geneviève proposée par Marie-Ange Todorovitch nous pose question. La lettre est lue de manière rugueuse, précipitamment, ce que certaines nasalités dans le haut de la tessiture viennent encore relever. L’effet dramatique en est pour le moins surprenant.
En fosse, il faudra plutôt parler de détonations. François-Xavier Roth, à la tête de son orchestre Les Siècles, laisse entendre un Debussy fauviste, gorgé de contrastes et d’arrière-plans déposés à la brosse. Bien entendu, les instruments dits d’époque n’y sont pas étrangers : les cordes ont cette couleur d’ailleurs un rien usée, les harpes une présence peu commune et les vents une aigreur qui épouse cet univers à merveille. Le tout ne manque d’aucun ressort ni d’aucune virtuosité pour pimenter le drame et rendre justice à une partition jouée dans la totalité de ses scènes et interludes.