Qu’il eut été dommage que l’Opéra de Rouen Normandie renonçât à cette production de Pelléas et Mélisande ! L’institution, distinguée par nos lecteurs pour sa pugnacité dans la crise, a fait le choix de la monter et chaque représentation a bien lieu… mais sans public. Pourquoi ? Pour permettre à quatre chanteurs, certains désœuvrés au cours de l’année passée, d’effectuer leur prise de rôle. Pour inviter quelques journalistes à raconter la vie d’un théâtre et d’un art qui ne veut pas faire silence. Pour laisser France Musique enregistrer et diffuser (le samedi 6 Février à 20h) ce chef-d’œuvre de Debussy. Pour permettre enfin à la télévision de capter le spectacle et de le rendre accessible au plus grand nombre (en direct le 26 janvier sur Facebook et La Chaine normande).
Grand bien leur en a pris. La production d’Eric Ruf, déjà vue au Théâtre des Champs Elysées et à Dijon, ne surprend plus personne. Elle est habile et de bonne facture, vaguement conceptuelle avec ce filet de pêche qui pend comme une menace damoclessienne, où ce silo moins minéral que métallique dans lesquels les habitants d’Allemonde semblent ne vouloir cesser de tomber comme une Alice dans le terrier du lapin. La direction d’acteur est à l’avenant, proche du sens littéral du poème de Maeterlinck.
La direction fine, ciselée de Pierre Dumoussaud vient y mettre du sel et des épices. Tout d’abord par le traitement qu’il choisit pour les interludes. Il s’éloigne de l’évidence wagnérienne de ces mesures, refuse l’emphase et les scansions traditionnelles pour maintenir autant que possible la légèreté diaphane et les couleurs brumeuses du chef-d’œuvre de Debussy. Surtout cela permet de magnifier un orchestre irréprochable, petite harmonie et harpes en tête, dont on jouit d’autant plus qu’il siège sur ce qui fut le parterre du théâtre. Certes la balance avec le plateau s’avère parfois compliquée mais cela sera corrigé sans mal à la captation. Enfin, le jeune chef d’orchestre épouse le drame et propose des variations des tempos vertigineuses que solistes et musiciens suivent à la lettre : une telle cohésion, une telle richesse interprétative et un tel sens du théâtre doivent être salués.
Comme à Dijon, la distribution a été presque intégralement renouvelée, à l’exception de Jean Teitgen qui retrouve avec le même bonheur, la même diction soignée, le même timbre mordoré l’habit du grand-père qui cache sa sévérité derrière son humanité. Lucile Richardot dont c’est la première Geneviève, trouve dans l’humilité et la prudence une palette de nuances subtiles qui rend sa lecture de la lettre un moment captivant. Huw Montague Rendall suit le chemin ouvert par sa mère il y a quelques décennies. Son premier Pelléas est déjà aussi lumineux qu’il peut être enfiévré, habité comme évanescent. L’adéquation du rôle aux moyens va de paire avec une incarnation juvénile qui tombe sous le sens. Autre prise de rôle en Mélisande, Adèle Charvet suit l’exemple de ses comparses. Le chant est probe, un rien effacé dans le bas registre mais beau et incarné dans les parties plus lyriques (comme la scène de la Tour). Elle compose un personnage mystérieux comme il se doit, même s’il reste un rien monotone. Dernière première enfin avec Nicolas Courjal qui mène son personnage de plus en plus loin dans la folie et la violence sans jamais sortir du cadre stylistique voulu par Debussy. C’est en suivant les méandres des phrases, les rigueurs de la rythmique que son Golaud devient sec et cassant, délirant et meurtrier. Chez lui aussi, ce sont l’humilité de la lecture et le souffle qui portent le texte avant tout, ce qui rend d’autant plus efficaces les quelques accents sadiques et le venin fielleux disséminés au revers d’un mot.
Captation vidéo et diffusion en direct
Mardi 26 janvier, 20h
– sur La Chaîne Normande,
– le site internet de l’Opéra de Rouen Normandie
– les réseaux sociaux (Facebook, Youtube) de l’Opéra de Rouen Normandie et de ses partenaires
Diffusion sur France Musique
Samedi 6 février, 20h