Composé par Giovanni Battista Pergolesi au seuil de sa mort alors qu’il était encore à l’aube de sa vie, le Stabat Mater porte en lui à la fois la pureté naïve de la jeunesse et la richesse mélodique d’une œuvre de la maturité. Cette partition, prosaïque et sacrée, mêlée de recueillement et d’allégresse, doit être servie sans effets inutiles, sans ornementations superfétatoires. Rares sont les interprétations qui ont trouvé cet équilibre, l’ostentatoire l’emportant souvent sur la sobriété. L’essence de l’œuvre commande de faire simple et d’émouvoir. On attend des interprètes, chanteurs et directeur musical, qu’ils soient les émissaires d’une légèreté aérienne qui transporte en évitant les écueils d’une débauche de virtuosité. Interpréter une telle œuvre relève de la subtilité. Les douleurs exprimées doivent être dépassées, apaisées, sublimées dans une lecture raffinée toute en nuances.
La qualité des artistes réunis hier soir au Théâtre des Champs Elysées laissait espérer une interprétation en finesse. Et force est de constater que Jakub Józef Orliński, l’étoile montante du baroque et Katherine Watson remarquée pour son expressivité délicate, n’ont à cet égard pas déçu. En totale synergie, ils ont conféré de délicates couleurs à la partition de Pergolesi. Leur complémentarité dans une lecture subtile s’illustre d’emblée dès le duo introductif où les voix se mêlent dans une alchimie de timbres. Les chanteurs font preuve de virtuosité dans un chant dépouillé d’artifices notamment dans les vocalises du Fac Ut Ardeat Cor Meum. Qu’ils mêlent leurs instruments ou qu’ils se répondent en écho, ils traduisent la douleur du divin poème. A cet égard, ils nous offrent un moment de grâce dans O quam Tristis et afflicta où, sur un tempo lent, les voix se déploient à l’unisson pour distiller une tristesse lumineuse sans affliction, comme une flamme qui vacille mais ne s’éteint pas.
De ce raffinement et de cette intériorité, Jakub Józef Orliński tire paradoxalement l’énergie d’une belle théâtralité qu’il exprime dans une gestuelle vive et une diction stylée. Par son art consommé des nuances et de la prosodie, il donne pleinement corps au recueillement du O quam tristis et aflicta et à la verve désespérée du Mea tormenta, properate de Hasse chanté en première partie. La voix possède une belle amplitude et une projection solide et assurée. Les graves sont ronds et soyeux et font merveille dans le Eja Mater Fons Amoris. Surtout, l’instrument conserve une parfaite homogénéité dans tous les registres comme l’illustre dès la première partie du concert, le Donec Ponam inimicos tuos de Terradellas. Dans Quae Moerebat et delebat, le contre-ténor exprime à merveille le mariage antinomique de la douleur sous-jacente et du rythme enlevé. Il donne corps ici à une expression retenue du chagrin portée avec une naturelle et désarmante spontanéité. La virtuosité de Jakub Józef Orliński ne se donne pas en spectacle. Elle se met au service de l’œuvre dans une simplicité et une sobriété admirables. Force est de constater que l’artiste aux allures d’éternel adolescent fait de plus en plus preuve d’une maturité étonnante pour son jeune âge.
« Souffrante la semaine précédant le concert », tel qu’annoncé en début de spectacle, Katherine Watson n’a pu préparer et donc chanter le Trionfo del Tempo d’Haendel. Après un Salve Regina en demi-teinte, elle doit céder la scène, dans la première partie de programme, à Jakub Józef Orliński qui prend un évident plaisir à assurer le spectacle, en showman, avec le Donec ponam inimocos tuos de Terradellas et le Mea Tormenta properate de Hasse. Dans le Stabat Mater, en seconde partie, elle joue en revanche jeu égal avec son partenaire. On a parfois reproché à la soprano sa retenue. Ici, au contraire, l’expression délicate, pudique qui rend compte d’une approche mesurée, fait merveille. Katherine Watson se tient à distance de tout excès dans l’expression et distille avec juste mesure les couleurs et les nuances. Cette subtilité trouve son point d’orgue dans le Cujus Animan gementem. Sa voix au timbre clair et limpide confère grâce et légèreté à son interprétation avec une pointe d’allégresse mais sans exagération primesautière pourtant très tentante sur ce tempo andante amoroso. La voix ne brille pas par sa puissance mais se distingue en revanche par la douceur du timbre, la pureté de l’aigu notamment en introduction du Quis est homo. Irréprochable également dans Vidit Suum Dulcem natum, la chanteuse se révèle dans le registre centrale de la voix et nous donne à entendre des graves moirés d’une belle rondeur. Katherine Watson confère comme toujours goût et fraicheur à ce qu’elle interprète même si ce soir l’entame a été pour elle quelque peu chaotique.
A la tête du Concert de la Loge, Julien Chauvin, également premier violon, se laisse aller à un enthousiasme jubilatoire dans une direction survitaminée totalement à contre sens de l’essence de l’oeuvre. Dans une lecture urgente et fiévreuse, il donne aux Quae Moerebat et delebat et Inflammatus et accensus des allures de tourbillons, faisant fi des indications allegro ma non troppo de la partition. Un rééquilibrage se fait ensuite mais un peu trop tardivement. Ainsi, dans le final, le tempo du Amen est certes enlevé mais la direction se révèle fluide, légère, toute en rondeur. Dans cet écrin musical contrasté, ce sont véritablement les voix des solistes qui magnifient le récit de ce poème de la douleur. Et quand on quitte le théâtre ce sont les délicates et poignantes arabesques du duo final du Quando corpus Morietur, d’ailleurs ici bissé, que l’on entend encore en écho.