Vivaldi et Debussy, même constat : qu’il s’agisse de musique baroque ou non, il y a dans le timbre de Philippe Jaroussky une magie qui opère, une couleur irréelle qui entoure tout ce qu’il chante d’une aura céleste, si incongru que puisse parfois paraître dans certains répertoires l’usage du fausset.
Au Théâtre des Champs-Elysées samedi soir, le contre-ténor réitérait sur scène l’hommage à Paul Verlaine rendu sur disque – Green – en début d’année. A programme exceptionnel – des mélodies de tous horizons sur des textes de Verlaine –, format exceptionnel. Deux fois quarante-cinq minutes sans entrées et sorties applaudies entre les numéros, sans saluts répétés, sans aucune de ces coquetteries qui encombrent les récitals, mais l’enchainement quasi continu des titres dans un silence que la fin de l’hiver et de ses miasmes rend religieux.
Comme pour Green, l’ordre des pages choisies et l’accompagnement musical sont suffisamment variés pour que la lassitude ne se fasse pas sentir. Quelques pièces instrumentales ménagent au chanteur une nécessaire respiration. Au piano, Jérôme Ducros est aussi un poète – un Clair de lune frissonnant le rappelle à ceux qui hypnotisés par la voix de Philippe Jaroussky oublieraient de prêter attention au pianiste. Comme pour Green, les sonorités du Quatuor Ebène ont des teintes qui, par leurs reflets mordorés, évoquent l’ambre. Comme pour Green – et plus largement, comme pour tout ce qu’il interprète – la musicalité de Philippe Jaroussky n’est jamais prise en défaut et le respect – l’amour ? – qu’il porte à ces partitions de qualité et d’atmosphère inégales, entier. Les libertés qu’il s’autorise sont rares : vocaliser le thème de « Ecoutez la chanson bien douce » de Léo Ferré ; tenir la note jusqu’au vertige dans « Chanson d’automne » de Charles Trenet… Comme pour Green, la pureté inaltérée de la voix charme, voire envoûte lorsqu’elle se pose, délicate, sur une musique qui ne l’est pas moins : Hahn, Fauré, Bordes, à chacun ses préférences…
Mais, les bras collés au corps, les pieds rivés dans le sol, le contre-ténor ne se départ jamais de son attitude d’enfant sage récitant sa récitation. La taille de la salle n’autorise pas plus de complicité. C’est un des inconvénients de l’exercice. Ces mélodies, de salon plus que de théâtre, voudraient davantage d’intimité. Leur suc – vénéneux ou délicieux, c’est selon – se dissipe dans un espace trop vaste.
Autre inconvénient, à la différence de Green cette fois, la diction manque souvent de clarté. Du premier balcon, les mots ne sont pas toujours compréhensibles et, sauf à connaître ses poésies de Verlaine sur le bout des doigts, le son l’emporte trop souvent sur le sens.
Plusieurs fois rappelés par un public enthousiaste, les musiciens ajoutent trois bis à un programme déjà conséquent : un extrait de Fisch-Ton-Khan, opérette d’Emmanuel Chabrier dont Verlaine écrivit le livret, « L’heure exquise » mise en musique par Reynaldo Hahn et « Colombine », façon Georges Brassens, dont les « pam pam pam » insouciants referment la soirée sur une note peu saturnienne.