Requiem pour qui, pourquoi ? Pour le bicentenaire de la naissance de Verdi ? Pour la fin d’une saison douce-amère à l’Opéra de Paris ? Ou pour le chant verdien que certains prennent un malin plaisir à dire moribond et auxquels les solistes à l’affiche ce soir offrent un vibrant démenti ? Chacun dans sa catégorie plutôt que réunis d’ailleurs. Appariées, les voix se contrarient quand séparées, au contraire, elles sont sources de multiples satisfactions.
Ildar Abdrazakov avait déjà montré à Paris il y a quelques semaines le Philippe II qu’il savait être. Il propose ici un chant sculpté dans la même matière. Ni pierre, ni métal mais glaise pétrie d’intentions, nourrie d’humanité. Ses « Mors stupebit » ne sont pas sentences mais supplications, son « Confutatis » bien moins malédiction que supplication. Le ton reste noble, l’étoffe royale. Violeta Urmana renoue avec une tessiture de mezzo-soprano qu’elle n’aurait jamais dû abandonner si l’on en croit l’équilibre des registres, le medium généreux, l’aigu certain puisqu’il n’est ni trop haut, ni trop sollicité. Kristin Lewis trouve elle aussi une partition à la dimension d’un chant qui ne semble jamais mieux s’épanouir que dans le Verdi de la maturité. Sa Leonora du Trouvère avait déçu, son Aida ébloui. C’est la seconde que dévoilent ces notes fuselées dont la lumière rappelle celle du Nil. A l’image de Leontyne Price, avec laquelle elle ne partage pas que le velours, les ressources du medium rachètent un grave plus artificiel. Surtout le tracé est droit, le souffle long, la ligne pure. Des quatre chanteurs, Piotr Beczala semble le plus tendu, au bord du précipice lors d’un Ingemisco qui n’en parait que moins artificiel. Reste pour qui le connaît d’abord au disque (on pense à son dernier récital Verdi), la surprise de découvrir un chant dont la plastique n’exclut ni les nuances, ni la sobriété.
Du Chœur de l’Opéra national de Paris, on était convaincu qu’il offrirait le meilleur et c’est lui qui nous comble le moins. La masse est impressionnante mais on voudrait certaines attaques mieux tranchées et dans les fugues, le discours moins confus.
Philippe Jordan aborde Verdi comme Wagner, sans effet de manche mais avec une logique implacable qui n’exclut pas les sensations fortes. Si les premiers coups du Dies Irae n’ébranlent pas autant que d’autres fois, c’est pour que les suivants marquent davantage. Les amateurs de contrastes trouveront à redire. Ceux qui apprécient une lecture plus intérieure seront comblés. L’orchestre trébuche parfois, à l’exemple d’une des trompettes, pourtant judicieusement placées dans les loges du balcon sur le côté, qui rate son entrée. Mais le résultat demeure de haute volée. C’est debout que le public salue une interprétation qui ne veut pas tant réveiller les morts que leur rendre hommage. Verdi, lorsqu’il décida de composer un requiem à la gloire d’Alessandro Manzoni, n’avait pas d’autres intentions.