Salle comble ce soir pour un des opéras les plus aimés des Montréalais. Il est vrai que la distribution a de quoi attirer un large public, mais depuis que l’Opéra de Montréal a réduit de cinq à quatre ses productions annuelles et ses représentations, on peut comprendre qu’on ne puisse passer outre. À quelques détails près on a eu droit à une soirée de haute tenue magnifiée par une mise en scène respectueuse du livret et qui, bien que traditionnelle, a su brillamment exploiter les facettes comiques et dramatiques de l’œuvre. Loin d’être figés comme on voit trop souvent sur scène, les personnages bougent au diapason d’une musique enjouée et profondément émouvante.
Pour mener le jeu, Tom Diamond utilise les superbes décors d’une production montée en 2003 pour l’Opéra de Montréal et repris par Opéra Lyra Ottawa en 2008. Une colonne porte les insignes de la monarchie, une autre soutient l’image d’une guillotine. La Déclaration d’indépendance de 1776 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 gravées sur de grands panneaux rappellent les mouvements contestataires qui sévissaient en cette fin du XVIIIe siècle. Au quatrième acte, ces panneaux retournés se transforment en un magnifique jardin. Parés de très beaux costumes d’époque, les personnages s’affrontent ici sur un terrain de quasi égalité malgré l’entêtement du comte à défendre ses privilèges. Le metteur en scène tire profit de la physionomie des acteurs et exploite au maximum le côté drôle des situations sans que cela ne prenne des allures de cabotinage. Tout est mené à un rythme qui ne fait aucune place à l’ennui et les protagonistes s’en donnent à cœur joie.
Vocalement le plateau s’avère fort homogène. À commencer par Robert Gleadow qui imprime à son personnage une autorité qui va de pair avec l’éclat d’un timbre somptueux. Remarquable au plan technique, son interprétation musicale et dramatique fait merveille entre autres dans sa diatribe contre les femmes « Aprite un po’ quegl’occhi » crânement chanté. Hélène Guilmette incarne une Susanna souveraine ; elle exhibe un jeu éblouissant et une splendide présence scénique. Sa voix ductile et son superbe legato s’accordent bien aux subtilités mozartiennes pour rendre avec conviction le charme d’un rôle avec lequel elle est en phase. Phillip Addis affiche une musicalité exemplaireet déploie une aisance peu commune, au quatrième acte notamment, dans sa façon de passer si subitement d’une rage à peine contenue à un état de quasi soumission. Son baryton, proche de l’idéal pour chanter le Comte, fait merveille dans un hallucinant « Vedro mentr’io sospiro ». En Comtesse, Nicole Cabell n’atteint pas tout à fait le même niveau d’excellence. La voix est pourtant fort belle, mais peine à trouver les couleurs appropriées pour exprimer les déceptions amoureuses si bien définies par le compositeur dans « Porgi amor » et « Dove sono ». Julie Boulianne campe un page absolument hilarant. Dotée d’un timbre magnifique et d’une présence scénique ébouriffante, elle brûle les planches d’autant plus qu’elle sait mettre à profit sa petite taille. Son Cherubino est tout bonnement exaltant : il faut le voir prendre des allures de gamin dépité lorsqu’il est découvert par le Comte au premier acte et d’amoureux éperdu quand il fixe de façon insistante toutes les femmes qu’il rencontre. Son mezzo-soprano prête des teintes chatoyantes à l’expression d’une passion enflammée dans « Non so piu » au premier acte et « Voi che sapete » au deuxième. Ce rôle lui va comme un gant.
Les rôles secondaires sont tous très bien tenus. Mentionnons quand même l’apport rafraîchissant du couple Bartolo-Marcellina Bartolo (Alexandre Sylvestre et Aidan Ferguson) dont la prestation ne mérite que des éloges, lui grassouillet et crédule, elle mince et maniérée. Couple bien assorti et très bien chantant qui donne une prestation de haut vol.
Le Chœur de l’Opéra de Montréal ne cesse d’étonner. Véritable ravissement d’entendre des voix aussi souples et si bien conduites. Paul Nadler dirige l’Orchestre Métropolitain de façon honnête ce qui est un petit problème en soi. On sait bien que l’orchestre mozartien, si prompt à révéler les frémissements de l’âme, ne peut se contenter d’accompagner les événements. C’est un peu ce qui se passe ce soir même si tout y est beau et lisse. Le véritable ravissement c’est plutôt sur la scène qu’on le trouve et au final c’est le plateau qui reçoit les applaudissements les plus nourris.