Dans la série des curiosités musicologiques, cet Amadis de Gaule se place en pole position. Le compositeur d’abord : Jean-Chrétien Bach (1735-1782). Dix-huitième des vingt enfants de Jean-Sébastien, seul musicien de la dynastie à avoir taquiné le genre opéra, formé en Italie où il se convertira au catholicisme – un comble pour le fils du Cantor ! –, résidant en Angleterre, joué un peu partout ailleurs, il incarne l’Europe des lumières, deux siècles avant celle de Maastricht. L’œuvre ensuite. Créée en 1779 à Paris et jamais représentée en France depuis, commande de l’Académie royale de musique sur un livret en langue française d’Alphonse de Vismes d’après Philippe Quinault – le librettiste de l’Amadis de Lully –, vaine tentative de réconciliation entre gluckistes et piccinistes, elle sombra corps et âme au bout de 7 représentations. Oui, trois fois oui, quel que soit l’angle sous lequel on considère cette résurrection : fosse, scène, plateau. A l’orchestre, le Cercle de l’Harmonie s’emploie à restituer au mieux l’esprit ambivalent de la musique et en traduire certaines subtilités, les gémissements des vents qui accompagne la plainte d’Ardan Canil et rappelle le fameux « Non ! » du chœur des Furies dans Orphée, par exemple. La direction de Jérémie Rhorer prend à la gorge dès la première mesure et ne relâche son étreinte qu’à la dernière. Peut-on lui reprocher de ne pas nous laisser suffisamment respirer quand le principal responsable en est Jean-Chrétien Bach. La composition du « fils de » ne souffre pas de temps mort mais, revers de la médaille, laisse peu – ou du moins pas assez – de place aux contrastes. A la mise en scène, Marcel Bozonnet ne résiste pas à la tentation de nous refaire le coup d’Atys. Toiles peintes, décors en carton-pâte et costumes flamboyants s’appliquent à remonter le temps pour reconstituer une représentation d’époque. Le geste scénique est suffisamment vivant, le résultat suffisamment esthétique (notamment la spectaculaire intervention d’Urgande au dernier acte) pour que le parti-pris fonctionne. Surtout que la chorégraphie virtuose de Natalie van Parys, à la fin du deuxième acte, a la bonne idée de relancer l’attention au moment même où elle commençait à se relâcher. Parmi les chanteurs réunis, Allyson McHardy tire la couverture à elle. Malgré elle. Le rôle d’Arcabonne, magicienne écartelée entre amour et haine fait partie de ceux que magnifie le genre lyrique et dans lequel une interprète peut se tailler un triomphe. La mezzo-soprano ne va pas jusque-là mais la voix possède une longueur et une noirceur qui offrent de l’enchanteresse un portrait convaincant, et même au dernier acte touchant. En Arcalaüs, Franco Pomponi peut faire valoir un chant solide et une diction claire. Le rôle du mage uniformément maléfique ne lui offre pas davantage à exposer. Amadis, le preux chevalier, abrite sous un large manteau blanc une panoplie d’affects plus variée : notamment sa grande scène au premier acte qui le voit effeuiller la gamme des sentiments et un air vocalisant au dernier, « Jeunes cœurs que l’amour engage » qui n’a rien à envier à « L’espoir renait à mon âme » d’Orphée. Philippe Do, très concentré, privilégie le guerrier à l’amant. Le chant égal frappe uniformément du plat de l’épée quand on aurait aimé davantage de nuances. Défaut de couleurs non pas de souplesse. La vélocité de l’air sus nommé ne prend pas le ténor en défaut. Entre l’Oriane d’Hélène Guilmette et le Coryphée de Julie Fuchs, le cœur balance. Le ton de la première sied à une princesse mais la seconde possède davantage d’ampleur et de matière. Surtout l’air très brillant qui conclut le deuxième acte, le plus italien de la partition, lui offre l’occasion en deux couplets de ravir la couronne. |