Avant Lyon, à Bruxelles, et Paris (Athénée), Stéphane Degout et Simon Lepper inaugurent leur nouveau récital à Dijon. A travers Fauré, Brahms et Schumann, si proches et si singuliers, tout ce dont sont porteurs la mélodie et le lied est dit.
Dès les premières notes d’ « Aurore », la conduite de la ligne traduit le constant souci d’intelligibilité, marié à un contrôle admirable. L’élocution en est délectable : les mots, les phrases prennent une dimension que la seule poésie est impuissante à traduire. La grâce, le lyrisme nous captivent, avec des aigus lumineux, qu’ils soient diaphanes, quasi détimbrés ou projetés avec puissance. Le piano est fluide à souhait, avec une présence idéalement équilibrée à la voix. Après la confession amoureuse des trois mélodies de « Poèmes d’un jour », Le célèbre « Automne » clôt la partie fauréenne du récital. La progression en renouvelle l’approche : Stéphane Degout rejoint le panthéon du chant fauréen, à côté de Gérard Souzay et de Camille Maurane.
Toutes les facettes du romantisme allemand sont illustrées à travers le choix de lieder de Brahms et les Kerner-Lieder de Schumann. Du premier, chacun appellerait un commentaire tant leur traduction est appropriée. Ainsi, « Auf dem Kirchhof », contenu, puissant, habité par l’obsession romantique de la mort et sa citation attendue du choral, le magnifique « Feldeinsamkeit », chef d’œuvre absolu.
Les Zwölf Gedichte, opus 35 ne sont pas un cycle, plutôt une série, la narration ne connaissant pas de fil conducteur, sinon l’appartenance des thèmes au romantisme le plus profond. Le « Stirb, Lieb’ und Freud’ ! », admirable de plénitude, de retenue et de densité, est un des sommets de ce récital. On en oublie les grands devanciers. Les hésitations, l’agogique riche des lieder suivants, les accents donnent au texte une dimension inaccoutumée. Le mezza voce de « Stille Liebe », comme de « StilleThränen », nous étreint, pour l’intimité, l’aveu de la souffrance. L’épuisement que traduisent les deux derniers lieder a-t-il été mieux illustré ? L’émotion est palpable, chacun est suspendu au chant de Stéphane Degout. Les longues secondes de silence qui suivent l’écho de la dernière note, avant que les applaudissements osent le rompre, témoignent de cette communion avec un public envoûté. Un beau bis est offert, dont Stéphane Degout donne la traduction française, impeccable, avant d’en entonner le chant : le « Lerchengesang » (Candidus), opus 70 n°2 de Brahms.
Simon Lepper, digne successeur de Gerald Moore, trouve les touchers, les couleurs justes pour Fauré comme pour Brahms et Schumann. La fluidité de son jeu s’accorde particulièrement au premier. Son entente avec Stéphane Degout est idéale. Tout juste souhaiterait-on une présence plus marquée, à l’égale de la voix, alors que, de notre place, le piano paraît un peu en retrait, pour Brahms en particulier, accompagnateur plus que partenaire à part entière. Stéphane Degout fait ce soir la démonstration magistrale de son art de la mélodie et du lied. La voix longue et sonore dans tous les registres, avec des aigus clairs, nous ravit. L’engagement est total, avec un art du legato qui n’appartient qu’à lui, une palette de couleurs toujours justes, du pastel fauréen à la franchise de tons de certains lieder de source populaire.