Après un gala d’ouverture exclusivement dédié au répertoire français, les jeunes voix de l’Académie de l’ONP poursuivent leur voyage musical en se lançant dans le difficile exercice du dire, celui des poètes et de la mélodie. Un art où l’on s’abandonne dans une quête de perfection et de beauté, où chaque mot fait sens. Le chanteur est ici le narrateur d’une émotion qui le dépasse. C’est donc à un exercice ardu que se sont confrontées les jeunes voix de l’Académie, avec un beau mérite. A l’image du gala d’ouverture, le programme se distingue par sa qualité, où les œuvres laissées dans la pénombre côtoient celle qui ont rejoint depuis longtemps la lumière, les très rares Delius et Enesco partageant, le temps d’une soirée, la scène avec les habitués des programmations de récitals Debussy et Poulenc, tous ayant trempé leurs notes dans l’encre de poètes français. Ce sont toutefois les mezzo-soprano qui en cette soirée ont survolé le sujet, en l’occurence le timbre noble et la voix délicate de Lise Nougier et la comédienne-tragédienne à l’aigu étincelant, Marine Chagnon.
Poètes et mélodies © Brigitte Maroillat
La soirée s’ouvre sur un compositeur rare, Fredérick Delius, compositeur britannique d’origine allemande que l’on connaît très mal dans notre pays. Il n’en est pas moins un maître très apprécié en Grande-Bretagne, où il est régulièrement au programme des concerts. Delius était un grand amateur de voix, il a composé six opéras, des pièces pour chœurs et s’est aussi adonné à la mélodie, ici dans la parure des mots de Verlaine. La soprano italienne Martina Russomanno avait capté l’attention dans le gala d’ouverture par son interprétation de La Vierge de Massenet, par une voix occupant l’espace, aux aigus percutants et aux graves pleins et sonores. Il était à cet égard intéressant de voir comment un instrument d’un tel volume, pouvait se fondre dans l’art intimiste de la mélodie. Et force est de constater que la jeune chanteuse, davantage faite pour le grand répertoire, ne se meut pas avec une grande aisance dans cet art du dire. Difficile de dompter cette voix pour la faire entrer dans les codes, les nuances, les effets délicats de la mélodie qui sollicitent tous les registres de la voix, et particulièrement le médium et le grave dans lesquels on sent l’artiste en difficulté. En revanche, dès que la voix a tout l’espace pour se déployer vers les cimes, le chant est plus aisé, plus fluide, comme dans « La Lune Blanche ».
Les « Quatre poèmes de Guillaume Apollinaire », très début de siècle, trouvent leur gouaille malicieuse et leur lyrisme dans l’interprétation de Niall Anderson. Il nous avait offert un Sancho de belle tenue vocale lors du gala d’ouverture mais sa diction était à retravailler pour rendre le français fluide et intelligible, ce qui pour la mélodie apparaît indispensable. Ici, le baryton se distingue par un beau soutien de la ligne vocale et un timbre chaleureux, qualités avec lesquelles il s’illustre dans « Hotel » tiré du Guetteur mélancolique d’Appolinaire. Dans le bestiaire, il livre une lecture intelligente des textes où son beau registre grave se fait élégamment entendre. Un effort conséquent a été fait sur la diction et cela s’entend.
Après une puissante interprétation pleine de verve et d’énergie de son Octuor à cordes en ut majeur op.7 par les jeunes violonistes et violoncellistes de l’Académie, Georges Enesco, dont l’Œdipe a les honneurs de la programmation de l’Opéra Bastille, s’invite de nouveau sur scène, en cette soirée, avec « Les Sept chansons de Clément Marot ». La mezzo Lise Nougier confirme la très belle impression faite en Prince charmant de la Cendrillon de Massenet en nous livrant une bouleversante interprétation des textes de Marot. Dans la mélodie, elle est dans son jardin, elle domine son sujet. Ce répertoire est servi à la perfection par la voix délicate, au timbre noble de la jeune artiste. Elle sait embrasser l’art du dire avec subtilité, sachant à la perfection varier les nuances et les couleurs. Elle chante les sept chansons avec retenue n’en rajoutant jamais dans le pathos et le jeu subtil du piano de Félix Ramos parachève cette sobriété. Et l’intelligence de l’interprétation, la beauté délicate de la voix, rachète, ô combien, les quelques petits écarts de diction.
Le récital s’achève sur les Trois chansons de Bilitis. Si Debussy est au cœur des programmes de récitals, il est vrai que c’est rarement pour ces chansons inspirées par les mots de Pierre Louÿs. Lors du gala d’ouverture, Marine Chagnon en Urbain nous avait ravie par son humour espiègle, une voix claire et des aigus puissants mais parfaitement contrôlés par un sens des nuances. Elle réitère ici ces qualités, sans grandiloquence, avec la juste mesure qui sied à la délicatesse de ces pièces. La mezzo-soprano distille le texte, avec le juste dosage de voix, et en prêtant au sens des mots l’attention qui convient – même si le français pourrait être plus nettement articulé. Elle aborde ces mélodies avec une approche quasi « opératique » de comédienne-tragédienne qu’elle est incontestablement, rappelant ici une certaine Stéphanie d’Oustrac. Son allant, son naturel et son aigu étincelant la place déjà dans une posture professionnelle. Aux termes de cette soirée, force est de constater que ce sont les mezzos qui ont fait le show.
Dans l’art du chant nu, nos jeunes voix ont été des messagers impliqués autant dans les mots que dans le chant. En effectif réduit encore plus qu’avec le groupe au complet, la tension devait être grande seuls face au public, et pourtant chacun d’eux a su, bien plus que lors du gala d’ouverture d’ailleurs, tisser, petit à petit, les fils invisibles de cette communion silencieuse, mais si éloquente, avec le public.