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PONCHIELLI, La Gioconda – Salzbourg

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Spectacle
29 mars 2024
Danse avec les stars

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Mise en scène
Oliver Mears
Décors
Philipp Fürhofer
Costumes
Annemarie Woods
Lumières
Fabiana Piccioli
Chorégraphie
Lucy Burge

La Gioconda
Anna Netrebko
La Cieca
Agniezka Rehlis
Enzo Grimaldo
Jonas Kaufmann
Alvise
Tareq Nazmi
Laura
Eve-Maud Hubeaux
Barnaba
Luca Salsi
Zuane
Nicolò Donini
Isepo
Didier Pieri
Un chanteur
Patrizio La Placa
Un timonier
Federico Benetti
Un huissier
Massimo Simeolo

Orchestre et chœur de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia
Directeur musical
Antonio Pappano

Salzbourg, Großes Festspielhaus, mercredi 27 mars, 18h

Détails

Opéra en 4 actes
Livret d’Arrigo Boito d’après « Angelo, tyran de Padoue », de Victor Hugo
Création à Milan, Teatro alla Scala le 8 avril 1876

C’est un des blockbusters de la saison : Gioconda, opéra rarement programmé car avide de voix XXL, dirigé par Antonio Pappano au Festival de Pâques de Salzbourg avec Anna Netrebko et Jonas Kaufmann en têtes d’affiche.

Le spectacle vivant n’est jamais avare de surprises. Lorsque survient l’entracte à la fin du 2e acte, on se demande pourquoi Ponchielli n’a pas intitulé son opéra « Barnaba ».  Luca Salsi a pris le pas sur ses partenaires. A croire le rôle de l’espion félon taillé aux mesures exactes de son baryton, lui qui dans Don Carlo à la Scala en fin d’année dernière – vu en streaming sur Arte Concert –, peinait à traduire les nobles aspirations de Posa. Il serait malséant d’écrire d’un artiste qu’il chante mieux les salauds que les héros s’il n’était faux de croire les scélérats moins quémandeurs de subtilité. La monstruosité de Barnaba crève la scène parce que Luca Salsi ne noircit pas le trait mais au contraire le colore, et ne le grossit que pour mieux l’alléger, d’une voix souple dont on ne sent jamais les limites, ni dans l’aigu, ni dans le grave – certes moins sollicité par la partition. « O Monumento », suinte une haine malfaisante. Attaquée a cappella, la barcarolle ne souffre d’aucun défaut d’intonation puis s’exhibe dans une arrogante générosité comme un morceau de bravoure.

Il faut reconnaître que la mise en scène favorise le personnage, caméléon pervers et omniprésent, montré dès le prélude en prédateur sexuel. On avoue ne pas avoir saisi toutes les intentions d’Olivier Mears. Il reste frustrant pour le spectateur averti – et malhonnête pour le béotien – de transmuter le suicide de Gioconda en meurtre de Barnaba. Confondre l’opéra de Ponchielli avec Tosca, c’est malmener le mélodrame flamboyant imaginé par Boito et oublier la dimension sacrificielle de son héroïne – « Suicidio ! » chante-t-elle, pour rappel, dans l’air le plus célèbre de la partition.

Autre énigme : la torture médicale à laquelle Barnaba contraint Gioconda, mi-pute, mi-insoumise, au début du deuxième acte, rideau baissé, sans que rien ensuite ne fasse référence à cette scène, avec pour conséquence le parasitage du crépuscule lagunaire irisé de musique par Ponchielli. A ces quelques fantaisies près, auxquelles on ajoute pour l’anecdote l’assassinat d’Alvise par Gioconda, décidément prodigue en coups de poignard, la narration obéit au livret. Les décors monumentaux de Philipp Fürhofer reproduisent fidèlement Venise. les costumes de Annemarie Woods déportent l’action dans une époque contemporaine glamoureuse. La danse des heures, habilement détournée de son propos par Lucy Burge déborde sur l’ensemble du spectacle. Chorégraphier le mouvement des artistes du chœur et des solistes, comme le tente Olivier Mears aurait voulu plus de répétitions pour davantage de fluidité scénique.

© Berndt Uhlig

Cette gestuelle imposée, comme un ourlet dont on verrait les coutures, a pour inconvénient de brider le tempérament d’Anna Netrebko. La voix répond aux sollicitations extrêmes de la partition avec des registres moins disjoints que dans Adriana en début d’année à Paris – et un Si bémol filé sur « Enzo, come t’amo! » à tomber en syncope –, les coups de boutoir de l’écriture sont assumés sans sourciller, la volupté du timbre demeure indécente, mais le personnage semble comme vidé de sa substance dramatique. Il faut le quatrième acte, les abysses de « Suicidio! » zébrés d’aigus éblouissants, les récitatifs haletants, les longues phrases tendues sur le médium, les notes tenues jusqu’au contre-ut du trio – hélas écourté –, les ornements ciselés du duo – seule concession de Ponchielli au canto fiorito – pour que la soprano s’affranchisse des contraintes chorégraphiques de la mise en scène. Voilà Gioconda telle qu’en nos souhaits, « hyène furibonde » maudite par son ex-amant, tigresse lâchée dans l’arène des pulsions criminelles, femme plus fatale que pieuse, victime et bourreau à la fois, finalement saluée par un tonnerre d’applaudissements.

Antonio Pappano, qui l’avait dirigée dans Verismo, son meilleur album à ce jour, n’est sans doute pas étranger à cet accomplissement vocal. Le maestro triomphe également à l’applaudimètre. Le chœur comme l’orchestre de l’Accademia Nazionale di Santa Cecília répondent aux injonctions d’une direction qui excelle dans la peinture déjà impressionniste des vedute vénitiennes, tracées d’un pinceau sonore proche du murmure, autant que dans l’éclat sauvage des passions en jeu. Le concertato du 3e acte rugit a la manière d’un Dies Irae – est-ce une coïncidence si Pappano dirigeait le Requiem de Verdi deux soirs auparavant ? – et l’orage gronde dans « Suicidio ! », sans que jamais l’océan orchestral n’inonde le plateau vocal. Le drame se nourrit de cette alternance d’agitation et d’accalmie. Dans le deuxième acte par exemple, les palpitations angoissées de « Stella del marinar », le corps-à-corps furieux de Laura et Gioconda – où l’intensité des coups pousse les voix jusqu’au Si bémol (non écrit)– succèdent à la douceur élégiaque du duo entre Laura et Enzo.


© Berndt Uhlig

Si l’on cite ce duo, c’est parce que Eve-Maud Hubeaux et Jonas Kaufmann s’y montrent à leur meilleur, en demi-teinte, dans une communion amoureuse de timbre. La mezzo-soprano n’est jamais aussi convaincante que lorsqu’elle refuse de céder à la tentation expressionniste et ne pallie pas par des effets de poitrine une moindre assurance dans le registre grave. Peu avantagé par la mise en scène qui le fait encore plus inconséquent – et, osons l’écrire, plus benêt – que ne le veut le livret, le ténor est poussé dans ses ultimes retranchements, au bord de l’accident dans un « Cielo e mar » blanchi d’intentions que vient sauver in extremis une audacieuse messa di voce. Même en difficulté, Jonas Kaufmann reste l’immense artiste que l’on connaît, avec l’émission gutturale et couverte qui lui est propre, affrontant bravement les passages héroïques, et dans les moments moins tendus, phrasant son Enzo a la façon d’un lied mahlérien,

Tareq Nazmi en Alvise et Agnieszka Rehlis appellent moins de commentaires. Les caractères sont dessinés et les enjeux vocaux maîtrisés, ce qui est déjà un exploit, eu égard aux exigences de leur rôle. Lui est une basse d’origine koweitienne dont le nom commence à poindre sur les plus grandes scènes – Gurnemanz à Genève en 2023, Sarastro à Munich en 2022… – ; elle se présente moins contralto que mezzo-soprano, exposant cependant une couleur vocale suffisamment différenciée de celle de ses partenaires féminines pour occuper sa juste place dans les ensembles.

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Jonas Kaufmann
Alvise
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Laura
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Création à Milan, Teatro alla Scala le 8 avril 1876

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