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PORPORA, Polifemo – Lille

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Spectacle
13 octobre 2024
Opéra en technicolor

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opera seria en trois actes de Nicola Porpora (1686-1768)
Livret de Paolo Antonio Rolli
Créé le 1er février 1735 au King’s Theatre de Londres

Détails

Mise en scène
Bruno Ravella
Metteur en scène chargé de la reprise
John Wilkie
Décors et costumes
Annemarie Woods
Lumières
D. M. Wood

Aci
Kangmin Justin Kim
Galatea
Marie Lys
Ulisse
Paul-Antoine Bénos-Djian
Calipso
Delphine Galou
Polifemo
José Coca Loza
Nerea
Florie Valiquette

Le Concert d’Astrée
Direction musicale
Emmanuelle Haïm

Opéra de Lille, mardi 8 octobre 2024, 20h

Le spectacle commence aussitôt qu’on entre dans la salle. À la place du traditionnel rideau de scène, une grande affiche de cinéma annonce : « Nicola Porpora presenta Polifemo, extravanganza musicale in Technicolori ». Le style du dessin représentant le cyclope Polyphème, la typographie employée et la composition graphique générale de l’image évoquent immédiatement un pastiche d’affiche de péplum italien des années 1950/1960.

En effet, pour représenter cet opera seria de Nicola Porpora, le metteur en scène Bruno Ravella a choisi de transposer l’action sur un plateau de tournage. Originellement, le livret du poète Paolo Antonio Rolli entremêle deux intrigues amoureuses : les amours d’Ulysse et de Calpyso et ceux d’Acis et de Galatée, issus de deux sources différentes, l’Odyssée d’Homère pour les uns et les Métamorphoses d’Ovide pour les autres. Au cœur de ces deux récits, l’un héroïque, l’autre pastoral, le cyclope anthropophage Polyphème fait figure de pivot, puisqu’il est le geôlier d’Ulysse et le rival d’Acis. Ici, Polyphème est le réalisateur d’un film relatant les aventures d’Ulysse, héros incarné par un acteur bodybuildé qui évoque les Steves Reeves et les Gordon Scott de l’âge d’or du péplum à gros muscles. Le réalisateur, qui joue également le rôle du méchant cyclope dans son propre film, poursuit de ses mains baladeuses la jeune actrice interprétant Galatée. Cette dernière est cependant amoureuse d’Acis, un jeune décorateur qui travaille sur la réalisation des toiles peintes du film. Bruno Ravella sépare ainsi intelligemment les deux intrigues du livret : d’un côté, la fiction tournée sur le plateau (les amours d’Ulysse et Calypso sont le sujet du film), et de l’autre, la réalité du tournage (les passions et les rivalités qu’on retrouve sur les plateaux de cinéma).

Paul-Antoine Bénos-Djian (Ulysse) © Frédéric Iovino

Cette transposition est conduite avec brio : les costumes d’Annemarie Woods s’inspirent directement des couleurs pétaradantes des costumes antiques, tels que vus à travers le filtre du Technicolor des péplums italiens. La combinaison d’Ulysse, toute en faux muscles hypertrophiés, est particulièrement désopilante. Les décors, constitués de rampes de projecteurs et d’éléments en carton-pâte, en toile ou en bois peint, sont également de la main d’Annemarie Woods et recréent l’esthétique des décors de cinéma. L’abondance d’effets spéciaux – fumées qui font disparaître les personnages, main géante ou œil crevé actionnés par des techniciennes, petites figurines représentant les humains face au cyclope géant – sont autant de moyens d’animer le plateau de manière ludique que d’évocations de l’éclat des effets scéniques du XVIIIe siècle. Une direction d’acteur au cordeau et les lumières étudiées de D. M. Wood complètent cette proposition scénique enthousiasmante, qui ne laisse pas l’occasion au spectateur de s’ennuyer et qui met astucieusement en relief les enjeux du livret. Certes, l’esprit de l’opera seria, plus grave et moins ironique, est sans doute un peu loin, mais la mise en valeur des faux semblants et l’exhibition des artifices constitue un bel hommage à l’esprit baroque.

Des rivalités, réelles ou supposées, entourent également la création de l’œuvre de Porpora. Composé pour l’Opera of the Nobility, institution rivale de la Royal Academy of Music où Haendel règne en maître, Polifemo est censé faire de l’ombre aux productions du compositeur allemand. Appelé de Naples par le Prince de Galles pour faire briller le style italien, Porpora, qui est aussi réputé pour être un grand professeur de chant, fait venir à Londres le fameux castrat Farinelli. La distribution de Polifemo s’enrichit de stars déjà bien connues du public londonien, puisqu’elles viennent de quitter la troupe de Haendel : le castrat Senesino, la grande soprano Francesca Cuzzoni, ainsi qu’Antonio Montagnana et Francesca Bertolli.

Kangmin Justin Kim (Acis) © Frédéric Iovino

Pour succéder à ces chanteurs admirés, l’Opéra de Lille a fait appel à une troupe homogène de jeune chanteurs qui mettent en valeur la virtuosité et l’éclat de cette partition brillante. C’est au contre-ténor Kangmin Justin Kim, connu pour son imitation parodique de Cecilia Bartoli, que revient le rôle d’Acis. Son interprétation gagne en précision et en intensité au cours de la représentation, car le vibrato dans le bas médium embarrassait un peu son chant au début de la première partie. Il s’épanouit splendidement dans l’air le plus célèbre de la partition, « Alto Giove », phrasé avec subtilité et émotion. Son talent éclate définitivement dans l’air redoutable qui suit, « Senti il fato », avec ses vocalises ébouriffantes et ses sauts de registre vertigineux. Il se distingue également par sa présence singulière au plateau et son agilité physique, qui lui donnent un air de bateleur pétillant et rêveur. Quant à Paul-Antoine Bénos-Djian, il semble s’en donner à cœur joie dans le rôle d’Ulysse, loubard en veste en cuir à la ville et bodybuilder en jupette devant les caméras. Sa voix riche et sonore déploie des couleurs variées et la manière dont il mord le texte force toujours autant l’admiration. Aucun piège ne lui fait peur et notre héros assure avec panache les périls d’une partition qui n’en est pas avare : on aura rarement entendu effet de voix de poitrine aussi réussi chez un falsettiste que lors de son air premier air « Core avvezzo al furore dell’armi » et le rendu des vocalises, toujours intelligemment variées, est d’une précision redoutable.

La soprano suisse Marie Lys trouve en Galatée un rôle à sa mesure. Son timbre fruité, son phrasé frémissant et son agilité vocale saisissante confèrent à chacune de ses interventions un charme ravageur. Le grand soin qu’elle apporte au texte, tout comme sa présence scénique rayonnante, complètent ce tableau idéal. Le sommet de la soirée est sans aucun doute son interprétation de l’air de lamentation « Smanie d’affanno », où le temps semble se suspendre aux accents éplorés de sa voix, expression pure de la douleur. Delphine Galou a une voix beaucoup moins puissante et étoffée que ses partenaires, mais sa Calypso est d’une probité musicale indéniable. De surcroît, elle se glisse avec un délice visible dans ce rôle d’actrice star, mettant à profit son aura naturelle et son maintien altier. Dans le rôle du réalisateur et du cyclope Polyphème, José Coca Loza convainc par la pointe d’humanité qu’il offre à son personnage. Avec le moyens qui sont les siens, il propose des variations virtuoses dans les reprises de ses airs, en ajoutant des graves abyssaux, dans son premier air furibond « M’accendi in sen col guardo ». Dans le petit rôle de Nérée, Florie Valiquette est un immense luxe, mais on aurait tort de bouder son plaisir. Elle chante l’air qui ouvre la deuxième partie de la représentation depuis le côté du premier balcon, devant un pied de micro, comme s’il s’agissait de la bande-son de la scène qui se déroule sur le plateau. Son chant expressif et mordant évoque à lui seul une toile bariolée.

Kangmin Justin Kim (Acis), Paul-Antoine Bénos-Djian (Ulysse), Delphine Galou (Calypso), José Coca Loza (Polyphème), Marie Lys (Galatée), Florie Valiquette (Nérée) © Frédéric Iovino

À la tête d’un Concert d’Astrée en grande forme, Emmanuelle Haïm défend avec passion la partition de Porpora. Comme il n’existe pas encore de partition critique définitive de l’œuvre, le choix a été fait d’organiser ce Polifemo à partir des différentes versions existantes, pour trouver le meilleur équilibre dramaturgique. La musique foisonnante, ondoyante et gracieuse de Porpora trouve sous sa direction toute son organicité, comme si la cheffe emportait les instrumentistes dans une danse ininterrompue. Cette partition originale comprend par ailleurs un grand nombre de récitatifs accompagnés très dramatiques, mis en relief par sa direction expressive. Si les timbres des instruments manquent parfois peut-être de couleur et de mordant dans les tutti, certains soli se révèlent d’une grande beauté. Ainsi, dans l’air pour hautbois obligé d’Acis « Lusingato dalla speme », les arabesques de la voix du chanteur se mêlent aux broderies de l’instrument – un moment d’ivresse qui contribue au succès de cette soirée, acclamée par un public nombreux et composé de nombreux jeunes spectateurs !

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Livret de Paolo Antonio Rolli
Créé le 1er février 1735 au King’s Theatre de Londres

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Mise en scène
Bruno Ravella
Metteur en scène chargé de la reprise
John Wilkie
Décors et costumes
Annemarie Woods
Lumières
D. M. Wood

Aci
Kangmin Justin Kim
Galatea
Marie Lys
Ulisse
Paul-Antoine Bénos-Djian
Calipso
Delphine Galou
Polifemo
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