Depuis ses adieux à l’opéra en 2013, Natalie Dessay s’est plu à exercer avec bonheur ses talents dans d’autres domaines artistiques comme la comédie musicale ou le théâtre. Ainsi dès l’automne 2014 elle se glissait dans la peau de Madame Émery dans l’adaptation scénique des Parapluies de Cherbourg au Châtelet avant d’incarner en mars 2016 sur la même scène, une saisissante Fosca, l’héroïne tragique de Passion, drame musical de Stephen Sondheim d’après le film d’Ettore Scola Passione d’amore. Parallèlement, ses premiers pas au Théâtre en 2015 dans Und, une pièce de Howard Barker, ont été unanimement salués par la critique. En décembre 2016, elle présentait au Châtelet un spectacle original intitulé Pictures of America qui établissait des correspondances entre la peinture d’Edward Hopper et la musique, notamment le jazz et le musical. Enfin, en mars dernier elle revenait au classique avec un CD entièrement consacré aux lieder de Schubert et comme c’est désormais la règle, la parution du dit CD devait s’accompagner d’un concert. Seulement, contrairement à la plupart de ses collègues, la soprano française ne s’est pas contentée de reproduire sur scène le programme de son disque, elle en a profité pour proposer un récital entièrement original intitulé Portrait de femmes dans lequel seules six pages de son enregistrement figurent, en ouverture de soirée.
Très élégante dans une somptueuse robe noire, Natalie Dessay capte l’attention dès les premières mesures de Geheimes qui permettent de retrouver intacte cette voix reconnaissable entre toutes, dont le medium s’est étoffé sans perdre sa brillance. Pourtant Die junge Nonne la montre gênée dans le haut de la tessiture et les notes les plus aiguës ne sont pas dépourvues d’une certaine stridence, l’instrument qui semble fatigué met un petit moment à s’échauffer pour aboutir enfin à un Gretchen am Spinnrade poignant immédiatement suivi d’un Pâtre sur le rocher ébouriffant de facilité dans lequel la voix fait écho à la clarinette agile de Thomas Savy,
Puis, avant d’aborder le rare Alte Wiesen de Pfitzner, la cantatrice qui le présente comme un cycle « féministe », résume chacune des mélodies qui le composent avec un humour enjoué. Dédié à la soprano colorature Maria Ivogün, ce cycle réclame une grande agilité, le compositeur y multiplie les triolets, les arpèges et les trilles, autant d’ornements dont Natalie Dessay se joue avec aisance grâce à une technique demeurée intacte qui lui permet également de nuancer les passages lyriques de cet opus.
Changement d’univers – et de tenue – après l’entracte: pour la deuxième partie dédiée à la mélodie française, la soprano arbore une magnifique robe Fuchsia qui met en valeur sa silhouette juvénile. Dans La Chanson perpétuelle de Chausson, son art de la déclamation et ses qualités de diseuse l’autorisent à varier les affects dans chacune des cinq parties de cette longue mélodie tandis que Les adieux de l’hôtesse arabe avec son rythme lancinant bénéficie d’une ligne de chant au legato irréprochable. Pourtant la fatigue que trahissent deux ou trois légers accrocs dans la voix commence à se faire sentir, sans doute la tournée que la chanteuse effectue depuis le mois de janvier dans toute la France avec la pièce Und y est-elle pour quelque chose. Après les deux mélodies de Debussy, impeccables de style, la cantatrice qui sait comme personne établir une connivence entre elle et les spectateurs, explique que si le programme comporte un air d’opéra, en l’occurrence Faust de Gounod, c’est pour faire pendant à la Gretchen de Schubert et aussi parce qu’elle n’a jamais pu chanter ce rôle qui n’est pas pour sa voix, c’est pourquoi, précise-t-elle, il a été monté pour l’occasion d’un demi-ton. Le résultat est stupéfiant: a-t-on jamais entendu une Marguerite si convaincante, à la fois naïve, émerveillée et déjà amoureuse ?
Au piano, comme au disque, Philippe Cassard se révèle un accompagnateur attentif et subtil dont la complicité évidente avec sa partenaire contribue au succès de la soirée, son toucher délicat et raffiné fait merveille dans les deux préludes pour piano de Debussy qu’il interprète dans la seconde partie du concert.
En bis, la soprano ne fait qu’une bouchée des Filles de Cadix de Delibes dont les ornementations ne sont qu’un jeu d’enfant pour elle et propose de splendides notes filée dans le lied de Strauss Breit über mein Haupt avant un ultime clin d’œil à l’opéra avec une page tirée d’un de ses plus grands rôles, Lakmé.