Retour à la case départ pour Dialogues des Carmélites mis en scène par Mireille Delunsch, de nouveau à l’affiche de l’Opéra national de Bordeaux après avoir été pour la première fois représenté au Grand Théâtre il y a dix ans, puis navigué ensuite à Nantes et resurgi en streaming durant la pandémie. Le temps n’a pas de prise sur cette approche, avec ses défauts – l’absence de respiration, la raideur scénique à laquelle est contrainte la Première Prieure, le pschitt du tableau final peu à peu déserté pour laisser Blanche monter seule à l’échafaud –, et ses qualités – le respect du livret, le travail sur la lumière, l’usage symbolique des bougies qui trouve sa pleine signification lors du duo entre le frère et la sœur d’une juste expression théâtrale.
La distribution entièrement renouvelée a pour maillon fort Marie-Andrée Bouchard-Lesieur. De Mère Marie – une prise de rôle –, la mezzo-soprano possède le tempérament dramatique, l’évidence de la diction, l’ambitus d’un rôle qui s’étend sur deux octaves, la technique nécessaire pour surmonter les tensions de l’écriture sans que la moindre dureté ne trahisse une quelconque sécheresse de cœur et d’âme. Au contraire, la religieuse apparaît dans son entière complexité, avec une séduction naturelle, des inflexions parfois maternelles et dans le même temps, l’autorité, les notes foudroyantes, la lumière ardente d’un caractère héroïque prêt à vivre sa foi jusqu’au martyr.
Autres atouts de cette reprise, Thomas Bettinger dont le solide Chevalier, toujours audible, toujours intelligible, s’impose crânement, et des seconds rôles habilement brossés : l’Aumônier stendhalien de Sébastien Droy, le Premier Commissaire bouffon d’Etienne de Benazé…
Anne-Catherine Gillet reste une Soeur Blanche habitée par la grâce. La pureté d’émission pourrait tirer la proposition vers un angélisme de circonstance. Tiraillée entre orgueil et ferveur, la subtilité de la caractérisation sait éviter toute dérive sulpicienne. Reste la légèreté de la voix, derrière laquelle transparaît moins Blanche que Constance, la difficulté étant de trouver un soprano encore plus léger pour interpréter cette dernière. D’où sans doute le choix de Lila Dufy dont le charmant gazouillis peine à passer la rampe.
Madame de Croissy et Madame Lidoine n’ajoutent rien à la gloire de Mireille Delunsch et de Patrizia Ciofi. Leur immense talent ne compense pas leur inadéquation à des rôles conçus pour d’autres formats vocaux.
La direction nerveuse d’Emmanuel Villaume stimule un Orchestre national Bordeaux Aquitaine que l’on sent heureux de s’épanouir dans la partition, au détriment des voix. Parfois brusque, le geste coupe court à tout épanchement lyrique et à tout mystère pour mieux privilégier l’acuité du drame. Si engagée soit-elle, cette lecture inflexible laisse les yeux secs du début à la fin de la représentation. Un comble s’agissant de l’opéra le plus lacrymal du répertoire.