Autant certains opéras offrent aux metteurs en scène une marge confortable d’interprétation, autant Dialogues des Carmélites laisse peu de place a l’imagination. Difficile de s’écarter de la lettre d’un livret inspiré de l’histoire véridique des seize carmélites de Compiègne condamnées à mort par le Tribunal Révolutionnaire et exécutées le 17 juillet 1794. A défaut, Marie Lambert-Le Bihan expérimente à Liège quelques idées nouvelles sans convaincre de leur réel intérêt, telle la relation incestueuse entre Blanche et son frère suggérée au début de l’opéra puis abandonnée dans le duo du 2e acte, tel dans ce même duo le Chevalier éclopé car blessé au combat, telles aussi ces boules noires qui envahissent le décor, supposées représenter la montée progressive de l’angoisse au sein du Carmel. Plus intéressants nous semblent le refus du clair-obscur et le travail sur le mouvement, destinés l’un et l’autre à briser le carcan hiératique dans lequel l’œuvre est trop souvent camisolée, ainsi que la représentation du tableau final – la montée à l’échafaud des religieuses si souvent inaboutie. On n’en dira pas plus pour ne pas divulgâcher cette dernière scène.
© ORW-Liege J Berger
Directrice musicale de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège jusqu’à l’année dernière, Speranza Scappuci épouse le parti d’une lecture rapide et âpre dont l’efficacité dramatique s’exerce au détriment de la dimension spirituelle de la partition, voire du texte – l’orchestre couvre trop souvent les voix.
Nonobstant le respect scrupuleux de la prosodie, le choix des chanteurs peut dérouter si l’on prend pour mètre étalon l’enregistrement historique de Pierre Dervaux, réalisé avec les interprètes de la création française en 1958. Ainsi, Alexandra Marcellier dont l’ampleur, le relief et les couleurs pourpres du soprano composent une Blanche tourmentée, orgueilleuse, indomptable, moins « petit lièvre » apeuré en quête d’une improbable grâce que jeune femme révoltée, au medium solide et à l’aigu cinglant. Ainsi Julie Boulianne, Mère Marie à l’intransigeance, l’autorité et la soif d’absolu émoussées par la délicatesse du chant et la lumière douce du registre supérieur, loin du modèle d’Amnéris que Poulenc avait en tête lorsqu’il composa le rôle. Ainsi Claire Antoine – un nom à suivre – dont la pureté d’émission et la noblesse du phrasé apportent un démenti à la simplicité rustique et aux élans maternels de Madame Lidoine. Ainsi la première prieure de Julie Pasturaud, écrasée sous le poids d’un rôle dont elle peine à épouser les contours abyssaux. Ainsi Patrick Bolleire, Marquis de la Force héroïque prêt à en découdre avec les fantômes d’un passé douloureux. Plus conformes à une certaine tradition, Bogdan Volkov coiffe le Chevalier d’une perruque homogène à l’élégance mozartienne ; en Constance, la fraîcheur dénuée de mièvrerie de Sheva Tehoval offre un contraste bienvenu à la Blanche ombrageuse d’Alexandra Marcellier ; et François Pardailhé trempe son aumônier dans l’eau bénite d’une voix de ténor trial doucereuse.
Encore quatre représentations jusqu’au 29 juin et en rediffusion sur Musiq3 samedi 8 juillet à 20 heures.